Les entreprises et le choix entre le nomadisme et l’ancrage territorial


le 22 mai 2011 dans Pro Bono, Réflexions, Réflexions politiques et citoyennes - No comments

La relation d’une entreprise avec son territoire peut être considérée comme un investissement visant à modifier les conditions de réalisation de son activité au niveau local. A travers la vision du territoire comme un construit, la relation firme/territoire n’est plus basée uniquement sur la recherche systématique de sources de profits, mais sur une rencontre productive entre les parties prenantes.
Cet article est un extrait d’une recherche menée actuellement par Olivier Frey avec Pro Bono Lab.

L’investissement productif que fait une entreprise dans un territoire n’est pas définitif, il doit être renouvelé périodiquement. Les facteurs travail et capital demeurent les principaux facteurs de délocalisation des productions. Pourtant, les entreprises attachent de l’importance à leur territoire : elles lient nécessairement des relations diverses avec les acteurs locaux, et un ancrage territorial plus ou moins intense s’opère. Il s’agit dans ce cas précis d’un « investissement spécifique ». Le territoire n’est ainsi plus considéré comme un simple réceptacle des facteurs de production mais bien comme le résultat d’un processus de construction entre les différents agents économiques[2].

Si autrefois, les rapports entre entreprises et territoires étaient fondés sur la stabilité du paysage industriel avec de fortes spécialisations desquelles découlait une identification du territoire à une activité ou un domaine industriel (la sidérurgie pour la Lorraine, les pneumatiques pour Clermont Ferrand, l’automobile pour Sochaux…), cette identification de plus en plus faible[3] se manifeste par une tendance accrue des entreprises au nomadisme. La mondialisation de l’économie et la financiarisation des stratégies ont eu un impact non négligeable sur les modes d’organisation des entreprises et des industries, en permanence amenées à reconsidérer leur implantation sur un site donné. Ce nomadisme (délocalisation, volatilité des investissements…) de certaines grandes entreprises a plusieurs raisons : « les entreprises s’inscrivent dans des perspectives de globalisation pour lesquelles l’échelon territorial ne doit en aucun cas constituer un horizon », «leurs stratégies sont développées dans un contexte d’incertitude », et elles montrent enfin une volonté de « ne pas assumer les conséquences sociales de leurs actes sur le plan local »[4].

Pourtant, « la trajectoire de la firme dépend de son rapport aux territoires », c’est « sa capacité à jouer, au fil du temps, des différences et des spécificités territoriales » qui va fonder sa pérennité[5]. Les entreprises ne peuvent donc pas être indifférentes à leur environnement, les liens qu’elles tissent avec leur territoire sont autant d’atouts pour celles qui souhaitent tirer profit de leur localisation et développer des ressources locales.  Alors, « firme et territoire se retrouvent dans une situation d’endogénéisation réciproque »[6], ce qui permet à la communauté de « collectivise[r] le problème productif en lui donnant un sens dans un projet de développement local »[7].

« Ce qui peut fonder l’ancrage territorial d’une firme, c’est l’idée d’une construction commune, l’idée d’un apprentissage [et d’un développement] collectif fondé sur la co-production de ressources »[8]. Cette « rencontre productive »[9] entre l’entreprise et le territoire est le facteur essentiel de l’ancrage territorial. Elle peut être vue comme la capacité à apporter des solutions communes à certains problèmes productifs locaux, voire à formuler et à résoudre des problèmes productifs inédits. L’entreprise y trouve plusieurs intérêts, cette rencontre peut répondre au besoin de définition d’un nouveau produit ou d’une nouvelle application, à une nécessité d’abaisser les coûts de production, à un changement dans l’environnement de production ou encore à un changement dans les prix relatifs des facteurs de production. La rencontre productive est donc le facteur essentiel de l’ancrage territorial d’une entreprise, au sens où elle permet la dynamique industrielle et l’innovation au sein d’un territoire « construit ».

Ce sont donc les interactions entre l’entreprise et ces différents acteurs qui vont fonder sa stratégie territoriale, qu’elle soit à tendance nomade ou au contraire qu’elle contribue à ancrer l’entreprise. Une entreprise va apporter des capitaux, des technologies, du savoir-faire et de l’emploi à son territoire, et ainsi contribuer à son développement. L’ancrage territorial d’une entreprise va passer par plusieurs actions en faveur de son territoire d’implantation, notamment l’identification des parties prenantes et le dialogue, le développement économique du territoire d’implantation par des achats locaux, un transfert de savoir-faire, et/ou la préservation de l’emploi et du tissu économique local. Au contraire, le nomadisme se caractérise souvent par des relations plus distantes entre les parties, et un investissement réciproque limité.

En conclusion, si les entreprises sont bien inscrites dans un espace géographique, certaines vont pouvoir se délocaliser dans d’autres régions ou pays qui seront plus à même de leur offrir les ressources dont elles ont besoin ou d’améliorer leur profit. Quitter son territoire a cependant un coût et présente un risque qui devraient freiner les entreprises ayant tissé des liens avec ce même territoire, lorsque la rencontre productive crée des bénéfices et une sécurité pour l’entreprise. L’ancrage territorial devient alors une alternative viable à la délocalisation et garantit que l’entreprise joue un rôle dans le développement de son territoire, notamment en créant des emplois.


*Définition donnée dans le paragraphe d’introduction – Colletis, G., Rychen, F. (2004) « Entreprises et territoires : proximités et développement local », in Pecqueur B., Zimmermann J.B. (sous la direction de) « Economie de Proximités », Hermès, Paris, p. 207-230.
[2] Fujita, M, Thisse, J. F. (1997) « Economie géographique. Problèmes anciens et nouvelles perspectives», Annales d’Economie et de Statistique, n°45, p. 37-87.
[3] Perrat, J., Zimmermann, J-B. (2003) « Stratégies des firmes et dynamiques territoriales », in Dupuy C., Burmeister A. Entreprises et territoire, La Documentation Française, Paris, p. 15-32.
[4] CGP. (1995) L’ancrage territorial des activités industrielles et technologiques. Rapport de recherche coordonné par J.B. Zimmermann. Paris, Commissariat Général du Plan.
[5] Perrat, J., Zimmermann, J-B. (2003) « Stratégies des firmes et dynamiques territoriales », in Dupuy C., Burmeister A. Entreprises et territoire, La Documentation Française, Paris, p. 15-32.
[6] CGP. (1995) L’ancrage territorial des activités industrielles et technologiques.Rapport de recherche coordonné par J.B. Zimmermann. Paris, Commissariat Général du Plan.
[7] Colletis, G., Rychen, F. (2004) « Entreprises et territoires : proximités et développement local », in Pecqueur B., Zimmermann J.B. (sous la direction de) « Economie de Proximités », Hermès, Paris, p. 207-230.
[8] Zimmermann, J-B. (2005) « Entreprises et territoires : entre nomadisme et ancrage territorial », Revue de l’IRES, n4°7, 2005/1, p. 21-36.
[9] Colletis, G., Pecqueur, B. (1993), « Intégration des espaces et quasi-intégration des firmes : vers de nouvelles rencontres productives ? », RERU, n°3, sept.-oct., p. 489-508.

 

Leave a Comment