Is pro bono happening ? Happenings et flash mobs, nouvelles formes d’engagement.


le 26 janvier 2012 dans Bénéficiaires, C'est quoi, Pro Bono - No comments

Flash mob et happening  sont des évènements appelés à devenir de plus en plus connus car de plus en plus pratiqués, et sont la preuve d’une inventivité et d’une capacité de gestion étonnantes. Ils naissent pour des raisons diverses : groupes d’amis, associations et collectifs, professionnels du milieu des arts et du spectacle… Quelle serait la motivation à organiser ou à participer à des évènements type flash mob et happening ? Quel intérêt pour les participants et la cause associative ?

« Flash mob » signifie littéralement « mobilisation éclair » ; en d’autres termes, c’est un événement ponctuel, souvent très court (5 minutes par exemple), qui a lieu dans des lieux publics et qui rassemble des groupes plus ou moins importants de personnes autour d’un thème et d’un horaire précis. Il se caractérise par son aspect impromptu : au signal, les participants prennent part souvent en décalé à une manifestation, et rien ne laisse supposer avant qu’ils ne sont pas de simples passants. Ensuite, chacun repart de son côté, comme si de rien n’était.

Le « happening », s’il est lui aussi décalé et inattendu, n’est pas forcément court. Il se situe à la lisière du théâtre de rue, de l’évènementiel et du pur fou rire. En outre, on lui concède l’avantage de moins laisser les participants sur leur faim car il va plus loin dans le jeu.

L’impact de l’éphémère

Ces évènements laissent perplexes : pourquoi prendre part à ce qui ne dure pas ? Pourquoi s’y investir en tant qu’organisateur, gérer des personnes très variées et qui peuvent ne pas se connaître, mettre sur pied un vrai projet qui est voué à disparaître pour exister? La frustration n’envahit-elle pas aussi les participants, qui partagent un moment unique, poétique, drôle, exprimant une lutte, puis qui se retrouvent brusquement rappelés au réel ? Cet aspect éphémère doit en fait être une raison qui explique l’essor des flash mobs et happenings : loin de frustrer les participants, l’éphémère rend ce moment unique et fort ; il condense une émotion en un lieu, en quelques minutes. Dans ce cadre étroit, les personnes vivent une expérience qui les rassemble. On peut alors goûter au plaisir de faire partie d’un tout qui ne nous étouffe pas. Le groupe n’est pas menacé par la sclérose et le carcan qui s’installent inévitablement dès qu’il y a organisation.

Cette hypothèse permet également de résoudre un autre paradoxe majeur soulevé par ces types d’évènements : flash mob et happening sont largement instigués, relayés, diffusés via les nouvelles technologies comme les sites de vidéo en ligne, les forums de discussion sur le net et autres réseaux, nouvelles technologies qui ont la réputation d’instaurer des relations fictives, irréelles, isolantes. Or, internet est ici utilisé comme un véritable outil permettant un rassemblement. Le sentiment d’appartenance à un groupe est nourri par ce biais. Le groupe est distinct des passants, il est créé par cette soudaine scission entre ceux qui font et ceux qui observent, ahuris bien souvent ; on peut même aller plus loin, les spectateurs ont eux aussi droit à un court instant de spectacle, et donc d’émotion fédératrice.

La motivation, ce qui fait qu’on s’engage dans un projet, est la source de ces évènements. Elle est mue pour les participants par des gains matériels ou immatériels tels que la reconnaissance de ses pairs, la fierté de prendre part à un projet, le sentiment d’appartenance à un groupe ou la défense d’une cause. Pour les associations luttant pour cette dernière, ces évènements répondent à deux enjeux majeurs : sensibiliser l’opinion publique et l’intéresser à sa cause, et offrir une expérience unique à ses bénévoles.

Sortir du quotidien pour mieux le dénoncer

Flash mob et happening reposent sur la même mise en scène. L’espace utilisé est celui de tous les jours : la rue, un immeuble, une gare, une place, un musée. Ces lieux incarnent le réel. Pire, ils sont notre quotidien. André Breton, dans le Premier Manifeste du Surréalisme (1924), dit : « L’homme, ce rêveur définitif, de jour en jour plus mécontent de son sort, fait avec peine le tour des objets dont il a été amené à faire usage, et que lui a livrés sa nonchalance, ou son effort, son effort presque toujours (…) ». Les lieux habituels, les « objets » dont nous sommes « amenés à faire usage » quotidiennement sont revisités par les flash mobs et les happenings,  qui nous poussent à nous arrêter, à nous y attarder.

Une excellente façon de sortir du quotidien est donc mise à jour par ce type d’événement : il suffit d’y faire l’exact inverse de ce pourquoi l’endroit existe. Il suffit d’en faire une toute autre réalité, bien plus satisfaisante. Ainsi, les fêtes dans des appartements vides initiées par le collectif Jeudi Noir sont nées de cette nécessité de modifier l’espace d’un instant le réel, le quotidien répétitif ; presque instinctivement, des jeunes épluchant tous les jeudi les annonces de location entre particuliers et se voyant sans cesse refuser l’accès à un logement ont eu, individuellement et sans concertation, l’idée de visiter en fin de journée des appartements rêvés mais inaccessibles. Beaucoup s’y sont retrouvés, et c’est ainsi que l’idée de fête est née. Cela revenait à exorciser un mal-être, une angoisse face au quotidien trop lourd. En prenant l’exact contre-pied de la réalité, en se sentant non plus isolés mais bien ensemble à faire la fête, ces jeunes ont créé ce qui s’est avéré être un excellent moyen de faire partager leur réalité à ceux qui l’ignoraient. Cette « angoisse atroce, despotique » (Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Spleen n°16), ils l’ont désamorcée. C’est ainsi qu’a été planté le drapeau de Jeudi Noir.

Rire du quotidien, le rendre absurde pour le dénoncer, c’est souvent la mission de ce type d’événement. L’absurde, du latin « absurdus » qui signifie « dissonant », est ce qui échappe à la réalité connue. A l’instar du collectif engagé Jeudi Noir qui a pour but de dénoncer, certains happenings, ancrés solidement dans le réel, dans l’actualité, s’en extirpent avec humour : c’est le cas du trader qui souhaite mourir d’une façon aussi surprenante que la folie de son métier, absurdité révélée tragiquement par la crise de l’été 2009. C’est aussi le cas de ces faux médecins proposant des vaccinations aux passants à l’aide de seringues géantes qui font un pied de nez à la psychose entourant la grippe H1N1.

Etymologiquement, « critiquer » signifie « déplier » : déplier la réalité, c’est la montrer, l’agrandir, en grossir les traits. Et pour se faire entendre, il faut attirer l’attention. Par des manifestations publiques, relayées par les médias, les happenings et les flash mobs sont une vitrine pour porter un message qui, lui, n’est pas toujours entendu. A la poussiéreuse et bien souvent inécoutée manifestation traditionnelle, s’opposent de nouveaux types de manifestations : Génération précaire (collectif duquel est sorti Jeudi Noir) a eu un jour l’idée de traverser- à vingt seulement- une manifestation. La visibilité était là, et le parti-pris était clair : une action transversale, au sens propre et au sens figuré, distincte de l’éternel flux, terne et solennel, de manifestants et de partis politiques.

En renouvelant la forme de leur appel, ces nouveaux manifestants renouvellent la politique ; en sortant du quotidien de la vie politique, on peut plus aisément se démarquer et toucher. Breton le souligne dans son Manifeste de 1924 : « déconcerter l’esprit c’est le mettre dans son tort. ». Le changement en politique peut amener le changement au sein de la société. Il s’agit de mettre l’attrait au service d’un dessein plus important, celui de dénoncer, et de guider jusqu’à la « substantificque » (Rabelais) dénonciation.

Le réel est tellement détourné et distordu que l’actualité en devient sur-réaliste : Arthur Rimbaud parlait de « changer la vie », Karl Marx de « transformer le monde ». Ici, il s’agirait plutôt de changer sa vie et son monde, par l’engagement visible. C’est ce que font les associations. Flash mobs et happenings transforment la vie et le monde, les maquillent et les habitent. Et c’est ainsi qu’ils touchent à une forme d’art.

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