Le caractère réducteur de l’utilisation d’indicateurs tels que le PIB, lorsque l’on cherche à mesurer l’activité économique d’un pays, est un aspect qui a été souligné à de nombreuses reprises au cours de ces trente dernières années. Ces critiques ont abouti à la création d’outils statistiques alternatifs, comme celui de l’indice de Développement Humain (IDH), aujourd’hui largement utilisé dans les rapports que publie le Programme des Nations unies pour le Développement (Pnud). C’est dans ce cadre qu’est née la volonté d’apporter une mesure précise du poids économique du secteur non lucratif au sein des différentes économies, mesure qui pose entre autres la question de la valorisation économique du travail bénévole et de l’utilité sociale.
La création des comptes satellites pour les Institutions Sans But Lucratif
Chiffrer le poids de l’économie sociale est d’autant plus délicat que ce « troisième pôle » de l’économie a eu tendance à échapper à une catégorisation claire : les comptes nationaux ont été axés sur une économie de type bipolaire, partagée entre un secteur privé de type capitaliste et un secteur public, complémentaire et souvent interventionniste (Archambault, 2009). La nécessité de ce chiffrage a néanmoins donné lieu à la reconnaissance, en 2003, de la part des Nations Unies, d’un Manuel visant à établir un compte satellite des Institutions Sans But Lucratif (ISBL) dans le Système de Comptabilité Nationale.
À l’origine de ce manuel se situe le plus vaste chantier scientifique jamais entrepris sur le secteur privé sans but lucratif à l’échelle mondiale, mené par l’Université Johns Hopkins de Baltimore. Ce programme, qui comportait l’étude de plus de 40 pays et incluait 90% de la population européenne, a conduit à l’élaboration d’une méthodologie d’intégration des secteurs non lucratifs dans les chiffres de la comptabilité nationale.
L’étude, financée dans ce pays par la Fondation de France, a contribué à la mise en place par l’INSEE du compte satellite des institutions sans but lucratif (à la suite de l’expérience pionnière menée par la Belgique en 2004). La création de ces comptes satellites présente l’avantage de permettre des comparaisons, fondées sur une échelle commune au niveau international, et confère davantage de visibilité à l’économie sociale alors que les comptes nationaux n’en offraient la plupart du temps qu’un portrait fragmenté.
La question de la valorisation
Il s’agit donc d’une étape cruciale vers l’affinement des techniques de mesure de la valeur marchande des activités immatérielles. La mesure de la valeur économique du travail bénévole, qui constitue une part importante du poids économique attribué aux ISBL, est ainsi placée au cœur de nombreuses recherches et débats (cf. recommandations de l’Organisation Internationale du Travail en 2008).
Enfin, la mesure du poids de l’économie sociale incite à repenser plus généralement certains outils traditionnels d’attribution de valeur marchande aux activités économiques. En particulier, la notion d’utilité sociale, qui constitue un vaste champ dans la recherche actuelle, directement liée à la question de la valeur économique de l’ISBL, reste à approfondir alors que les répercussions économiques des actions menées par les ISBL peuvent se situer à moyen et long terme et affecter de nombreuses dimensions de la vie économique et sociale.
On peut souligner, comme Matthieu Hély lorsqu’il cite l’économiste François Eymard-Duvernay, que
la valeur n’est fondée ni en nature, ni même anthropologiquement. Elle est socio-historiquement instituée »[i].
Note : en France, le secteur de l’économie sociale inclut les mutuelles et les coopératives, qui ne rentrent pas dans la catégorie des ISBL (tels qu’elle s’est définie sous l’égide des Nations Unies). L’intégration de ces dernières aux comptes satellites des ISBL ne pose toutefois pas de problèmes statistiques particuliers et fait partie des ajustements que les pays sont entrain d’apporter aux méthodes de calcul systématisées par le Manuel.
Pour en savoir plus :
La longue marche vers un compte satellite de l’économie sociale : un bilan à partir de l’expérience française. Edith Archambault et Philippe Kaminski, 2009.
The comparative nonprofit sector project, Center for civil societies study, Johns Hopkins Institute for Policies Studies.
Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale (ADDES)
[i] Matthieu Hély, « L’économie sociale et solidaire n’existe pas », article publié le 11 février 2009 sur La vie des idées