La question de l’évaluation en association est relativement récente et souvent délicate. D’abord, pourquoi évaluer ? Le pilotage d’une activité associative ne répond pas aux mêmes impératifs qu’en entreprise, où l’évaluation peut être imposée par des parties prenantes externes à l’activité, parfois à des fins peu créatrices de valeur réelle. En association, la pression en faveur de l’évaluation provient aussi souvent d’une partie externe, le secteur public. Là encore elle est mal perçue lorsqu’elle reste uniquement basée sur des indicateurs quantitatifs, voire comptables.
Il reste néanmoins une bonne raison d’évaluer : l’amélioration continue des résultats, c’est à dire la recherche de la performance, particulièrement importante dans un contexte de baisse des ressources et d’augmentation des besoins sociaux. La question est alors : que veut-on évaluer, et comment ? Une idée neuve émerge : les associations pourraient mettre en place la co-évaluation.
La mesure de l’impact : intérêt et limites en association
A travers plusieurs articles sur le blog pro-bono.fr nous avons retracé les grandes lignes de la mesure de l’impact social et ses différentes approches. Il s’agit à notre sens du critère central à évaluer pour une association dans la plupart des cas, en particulier lorsqu’elle est d’intérêt général ou d’utilité publique. D’abord parce que c’est une manière de justifier son utilité sociale, tant auprès de ses membres, ce qui renforce la cohésion autour du projet associatif, qu’auprès de ses autres parties prenantes et notamment les partenaires financiers publics qui en font la demande. Ensuite parce que cela lui permet de se donner des objectifs à court, moyen et long terme et de contrôler la réussite, or la réflexion sur ces objectifs ou fins est un préalable nécessaire au travail sur les moyens. En fait, la démarche qui consiste à chiffrer ses objectifs est utile pour rendre ceux-ci facilement communicables : pour de nombreuses personnes, les chiffres parlent et rassurent, ils expliquent la nécessité sociale d’un projet et en justifient la portée.
Très souvent, c’est l’équipe associative au sens large (bénévoles et salariés) qui est la mieux placée pour collecter les données concernant l’impact et pour décider des bons indicateurs à mesurer : le traitement peut éventuellement être interne. Cependant, la mesure de l’impact seule est incomplète pour qu’on puisse y réduire l’évaluation d’un projet associatif au sens large. En effet, l’effet de levier mesuré dans le SROI par exemple ne prend généralement en compte pour un projet qu’une vision agglomérée des emplois ou ressources consommées, et y fait correspondre un impact global. La mesure d’impact ne traite alors pas en profondeur des problématiques internes de l’association, qu’il est pourtant essentiel de soulever dans un environnement constamment plus exigeant : qualité, efficacité, efficience, sécurité, innovation…
Approfondir l’évaluation : regard extérieur et partage d’expérience
La performance de l’association au sens large échappe à la mesure de l’impact, et doit donc être traitée à part. Or, les enjeux qu’elle soulève ne permettent pas de la traiter objectivement en interne, et un appel à une partie externe doit souvent être fait pour qu’un jugement porté par exemple sur les forces et faiblesses de l’activité associative soit accepté par tous. Malheureusement, les moyens manquent et les associations ne peuvent pas faire appel à des cabinets d’audits trop chers, et d’ailleurs souvent peu adaptés aux spécificités de l’économie sociale. Et si finalement c’était au sein même du secteur associatif que la réponse se trouvait ?
Il y a quelques semaines, Aaron Hurst émettait l’idée de peer review au sein du secteur social dans la Stanford Social Innovation Review. Concrètement, cela pourrait prendre la forme d’un regroupement d’associations qui s’évalueraient entre elles à tour de rôle : tous les 3 ans, l’association membre du groupe dont c’est le tour se soumet à l’évaluation par 3 à 5 cadres ou dirigeants d’autres associations du groupe. L’évaluation porterait sur tous les aspects de son fonctionnement : programmes, gouvernance, finances…. Il y aurait de nombreux avantages à mettre en place ce type de système :
1) Le regard extérieur donne une crédibilité maximale à l’évaluation auprès de ceux qui la demandent, il garantit un surplus d’objectivité. Ainsi, la CPCA relayait récemment une interview de François Lecouturier de la Société Française d’Evaluation qui se concluait ainsi : « Il y a donc un intérêt à ce que l’évaluation soit un exercice partagé, permettant d’éclairer l’action menée sous des angles plus divers. »
2) La co-évaluation permettrait le partage de compétences et de savoir-faire entre les associations d’un secteur, afin que des solutions déjà éprouvées puissent être mises en place là où des problèmes récurrents se posent. La nécessité grandissante de cet échange de bonnes pratiques dans la gestion associative est relevée en France et aux Etats-Unis dans ce récent article d’Eric Longo.
3) La co-évaluation pourrait avoir des effets bénéfiques pour les dirigeants bénévoles. D’abord une plus grande lisibilité de leurs moyens, car souvent les CA et bureaux dépendent beaucoup du directeur ou des salariés pour savoir ce qui est faisable, ce qui introduit un biais. Ensuite, cela pourrait leur donner de nouvelles perspectives : en évaluant d’autres associations ils trouveraient en permanence de nouvelles idées, et auraient l’occasion d’agrandir leur réseau et de nouer des coopérations fructueuses.
Depuis quelques mois maintenant, Pro Bono Lab réalise des projets qui engagent des volontaires auprès d’associations, et qui permettent la formalisation de la situation de l’association et/ou l’aident à prendre des décisions pour soutenir son développement – notamment les Marathons pro bono. « L’effet miroir » offert par des experts bienveillants s’est révélé très bien accueilli par les associations qui l’ont jugé bénéfique et plein de valeur : à n’en pas douter, la co-évaluation pourrait avoir les mêmes vertus !
Et vous, qu’en pensez-vous ? Seriez-vous prêts à vous lancer dans une expérience de co-évaluation avec d’autres associations ?
Pour aller plus loin :
EVAL, un centre de ressources pour l’évaluation
http://www.eval.fr/
La Société Française d’Evaluation
http://www.sfe-asso.fr/index.php
Excellent article Antoine que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt. L’idée d’une « peer evaluation » me traîne dans la tête depuis l’article d’Aaron que tu mentionnes. Je trouve la notion très séduisante. En tant qu’administrateur au sein d’une nonprofit New-Yorkaise depuis plus de 3 ans, je suis bien au fait du réel besoin d’évaluer la performance interne de l’organisation. Mais comment garder l’objectivité nécessaire pour en garantir le succès? Comment éviter ce que les Américains appellent le « blind spot » ou l’angle mort? Comme tu le dis justement, toute méthode d’évaluation – pour être efficace et objective – présuppose un point d’observation externe. Or comment un conseil d’administration peut-il faire ça sans ce regard extérieur? C’est la raison pour laquelle l’idée de faire appel à d’autres associations pour s’évaluer mutuellement me séduit tellement. Certains confrères administrateurs à qui j’en ai fait part trouvent l’idée assez surprenante et pour certains, franchement dérangeante. Je comprends leurs craintes. S’ouvrir ainsi au regard d’autrui rend nos points faibles plus vulnérables mais peut également nous pousser à optimiser notre performance. Débat à suivre donc!
Eric
Evaluer l’impact de ses bonnes actions c’est aussi l’objet du site de crowdsourcind http://deeder.it/ et de l’appli qu’ils ont développé.