Apparu dans les années 1960 sous l’impulsion de théoriciens du management comme Peter Drucker, le thème de l’innovation sociale a pris véritablement son essor depuis une dizaine d’années, portée par des associations, des entreprises ou des acteurs publics.
Dans un contexte de crise économique et de resserrement des dépenses publiques, le financement de l’innovation sociale connaît de profondes mutations, auxquelles les entreprises sociales et les associations doivent s’adapter. Quelles sont les nouvelles tendances de ce financement en France et à l’international ? Cette question fut au centre des réflexions menées à l’occasion du colloque de l’Institut de l’Innovation et de l’Entrepreneuriat Social (IIES) de l’ESSEC le 28 juin 2012.
Panorama des acteurs et des instruments financiers
Avant toute chose, qu’entend-on par innovation sociale ? Faisant partie intégrante du vaste champ de l’innovation telle que décrite par Joseph Schumpeter, l’innovation sociale peut correspondre à un nouveau produit ou service, un nouveau processus de production, de nouvelles pratiques ou un nouveau marché. Elle se distingue néanmoins de l’innovation technologique par sa finalité : répondre à des enjeux ou à des besoins sociaux non ou mal satisfaits.
Placées au cœur de l’innovation sociale, les organisations sociales (c’est-à-dire les entreprises sociales et les associations) font face à des enjeux particuliers de financement. Contrairement aux entreprises classiques qui attirent des capitaux grâce à la promesse de rémunération des actionnaires, les entreprises sociales produisent un bien ou un service à destination de bénéficiaires n’ayant pas nécessairement les moyens de payer. Elles ont donc besoin d’attirer des financeurs qui ne sont pas rebutés par le faible retour sur investissement financier.
Il existe à l’heure actuelle cinq grands marchés du financement de l’innovation sociale :
1) Les acteurs publics (les collectivités locales, les Etats et les organisations internationales) qui attendent un retour d’intérêt général uniquement. Grégoire Schöller, responsable des questions de l’économie sociale au sein du cabinet du commissaire européen Michel Barnier affirme ainsi que la question du financement de l’entrepreneuriat social est un des chapitres de l’agenda de croissance de la Commission Européenne afin que s’ajoute aux fonds structurels une priorité d’investissement dans les entreprises sociales.
2) Les fondations et les mécènes philanthropes dont les attentes sont principalement un retour social. L’essor des fondations d’entreprise est une tendance majeure de ce marché. Plus globalement, les grandes entreprises sont un levier dans le financement de l’innovation sociale en développant, à travers des programmes de philanthropie, Base of the Pyramid ou d’hybridation des ressources, des modèles de gouvernance et de financement innovants. Eclairage avec deux cas d’entreprises : Danone et Schneider Electric.
Danone a connu une accélération de l’innovation sociétale depuis les années 2000 avec le lancement de trois fonds :
– Danone Communities, fonds ISR créé en 2007 pour le développement d’entreprises à finalité sociale doté d’un budget de 70 millions d’euros environ et ayant permis déjà permis de financer une dizaine de projets.
– Danone Ecosystème, fonds créé en 2008 destiné à soutenir toutes les parties prenantes de l’écosystème de Danone (agriculteurs, fournisseurs, distributeurs, etc.). 29 millions d’euros ont déjà été investis dans près de 40 projets pour un total de 200 000 bénéficiaires.
– Livelihoods, fonds d’investissement carbone ayant pour objectif de créer de la valeur sociale pour les communautés rurales à travers la restauration de leurs écosystèmes. Danone est investisseur depuis 2011 (avec Schneider Electric et Crédit Agricole notamment). Cinq projets sont en cours de réalisation en Inde, en Indonésie au Sénégal et au Congo.
De son côté, Schneider Electric a mis en place le programme BIPBOP (Business, Innovation & People at the Base of the Pyramid) dans le cadre duquel le groupe a créé en 2009 un fonds d’investissement solidaire baptisé Schneider Electric Energy Access (SEEA). Doté d’un capital initial de 3 millions d’euros, ce fonds est destiné à soutenir financièrement les PME facilitant l’accès à l’énergie aux populations à la base de la pyramide. Ce fonds soutient majoritairement des entreprises d’Inde et d’Afrique subsaharienne mais il est également actif en France où le SEEA est partenaire de La Foncière Chenelêt, une entreprise du Groupe d’insertion Chenelêt qui a pour vocation de lutter contre la précarité énergétique en créant des logements sociaux à très basse consommation.
3) Les structures de l’Impact Investing comprenant les financeurs solidaires comme les Cigales ou France Active, les fonds de capital-risque comme Phitrust ou Bamboo Finance et les fonds de capital patient à l’instar d’Acumen Fund. Tous attendent un retour social équivalent et un retour financier plus ou moins important, allant du seul retour du capital initial à un retour financier proche du taux de marché.
4) Les banques (BNP Paribas, Crédit Coopératif) et les structures d’ISR (Investissement Socialement Responsable) tels le fonds d’investissement BAC dédié au développement économique des banlieues.
5) Les particuliers à travers le micro-crédit solidaire (Kiva, Babyloan, Entrepreneurs du Monde, Elevages sans Frontières) et l’épargne solidaire. Selon François De Witt, président de Finansol, l’épargne solidaire des français a été multipliée par douze en dix ans aussi bien qu’à la fin 2011, près de 900 millions d’euros étaient investis dans des activités à forte utilité sociale et environnementale.
Il existe trois manières d’épargner solidaire pour un particulier :
– en sélectionnant un placement solidaire d’épargne salariale. La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 oblige en effet l’ensemble des entreprises ayant mis en place un Plan d’Epargne Entreprises à proposer au moins un fonds solidaire.
– en choisissant des livrets d’épargne solidaires et de partage proposés au guichet de certaines banques (Crédit Coopératif, Crédit Mutuel, Banques Populaires, etc.) permettant de verser une part de ses intérêts à une association partenaire.
– en investissant directement dans le capital d’une structure solidaire (Habitat et Humanisme, Terre de Liens Foncière) ou d’un financeur solidaire : SPEAR permet par exemple à l’épargnant de choisir la destination exacte de son argent parmi une sélection de projets éthiques.
Destiné à garantir les placements solidaires depuis 1997, le label Finansol repose sur des critères de solidarité et de transparence. Plus de cent placements sont aujourd’hui labellisés.
Face au développement de nouveaux modèles de financement de l’innovation sociale, un certain nombre de défis reste à relever pour assurer leur pérennité. Il s’agit d’abord de faire évoluer la culture du financement de l’innovation sociale en France qui s’appuie largement sur le financement de projets plutôt que sur le financement structurel de l’organisation à but non lucratif. Par ailleurs, la mesurabilité de l’impact social des activités financées et la définition d’indicateurs de performance restent deux conditions clefs au développement de ces nouveaux instruments financiers.
Plus aller plus loin, découvrez le principe des Social Impact Bonds.
Voir aussi l’article : Associations : des solutions face aux contraintes budgétaires
Crédit photo : Scottish Banknotes par Cowrin, sous licence Creative Commons
C’est en effet un monde social en pleine mutation avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui mixe finance classique et impact social. Dès lors pour lever des fonds, le business plan social et le développement de nouvelles compétences vont se généraliser.
Je rédige actuellement des articles sur le business plan social (http://www.my-business-plan.fr/social ) et serai ravi d’avoir votre avis sur comment cet outil est ou non pertinent pour les ong.
Merci