Une approche au concept de l’innovation sociale


le 15 décembre 2013 dans Bien public et utilité sociale, Pro Bono, Réflexions - No comments

Pendant les dernières années, les projets « innovants » et  « socialement » responsables ont explosé, aussi bien en France que dans le monde. Le terme « innovation sociale » a ainsi fleuri dans de nombreux débats, articles, études ou forums. De quoi parle-t-on vraiment ?

La CEPAL[1] définit  le terme « innovation sociale » comme «  les nouveaux processus, pratiques, méthodes ou systèmes pour mettre en place des processus traditionnels ou des tâches nouvelles qui sont réalisées avec la participation de la communauté et des bénéficiaires. Ces derniers deviennent des acteurs de leur propre développement en fortifiant la citoyenneté ».

De la définition de la CEPAL nous retiendrons les deux éléments triviaux : « la nouveauté », inhérente à e  l’innovation, et « la citoyenneté », qui dénote le rôle « social » que tient cette nouveauté.  La définition apporte un élément complémentaire important : l’innovation sociale implique la participation de la communauté aux résultats. Il est nécessaire d’expliquer quels sont les caractéristiques de cette participation pour bien comprendre le concept d’innovation sociale.

La citoyenneté, le protagoniste des nouvelles expériences sociales  

Le terme classique de citoyenneté désigne le droit des personnes qui habitent dans un espace politique déterminé d’être membres reconnus de la communauté attachée à cet espace, en tant que titulaires de droits et devoirs. On trouve d’autres conceptions plus largement liées à la pratique de la citoyenneté contemporaine ; l’étude  « Education à la Citoyenneté »[2] réalisée en France en 2009 définit la citoyenneté  démocratique comme ce qui « concerne l’inclusion sociale, l’accès aux droits, l’esprit de solidarité, l’exercice des droits civiques et la prise de responsabilité ».

Les changements sociaux qui se sont produits dans le monde occidental depuis le début des années 1970 ont provoqué l’apparition de nouveaux acteurs et ont donné naissance à des expériences sociales, ce qui a favorisé le retour du citoyen comme protagoniste de la société. Par exemple, le processus d’institutionnalisation politique et sa décentralisation en différentes instances de pouvoir a contribué à une plus grande proximité entre les autorités locales et les citoyens. Durant cette décennie, de nombreuses organisations non  gouvernementales se sont créées pour répondre aux besoins des habitants dans les pays en développement. Des mouvements sociaux ont émergé pour exiger des changements dans la construction de la citoyenneté, la culture politique et la participation démocratique.

Les expériences citoyennes apparues pendant les trente dernières années ont été principalement caractérisées par la défense de la participation. Le processus de participation s’est défini comme une action constructive qui favorise la responsabilisation et l’émancipation, ou « empowerment ». Il s’est revendiqué comme l’acte de construire ou de créer quelque chose de nouveau en faveur de la société. Ces expériences participatives ont pour but de renforcer les capacités des citoyens, leur confiance et leur vision, aussi que leur leadership au sein du groupe social, en leur donnant la force de réaliser des changements positifs dans leurs vies. La participation renvoie à deux autres concepts : l’autogestion et l’autonomie.

L’autogestion favorise la responsabilisation et l’émancipation des citoyens. Les initiatives menées selon le principe de l’autogestion permettent aux citoyens d’élaborer, de créer et de transformer l’espace socio-politique en collaborant entre eux. Grâce à l’autogestion et, en conséquent grâce à « l’empowerment », les sociétés acquièrent grands niveaux d’autonomie : les actions citoyennes augmentent la capacité politique, articulent les communautés, créent des réseaux de solidarité entre leurs membres, récupèrent les espaces publics ou créent de nouveaux, etc. Ces pratiques favorisent la transition de la dépendance à une plus grande autonomie des sociétés.

Le sociologue Alain Touraine [3] désignait dans les années 1980 les acteurs sociaux comme les véritables agents de changement face à des institutions politiques, en se concentrant sur ​​l’idée que le sujet retrouvait son rôle dans la vie sociale, ou en d’autres termes, que la citoyen reprenait une fois de plus sa place au centre de la société en raison de sa capacité à s’organiser, participer, et à agir sur elle-même. En ce sens, le citoyen est devenu le principal acteur des relations sociales contemporaines, où il a un rôle central lié à sa puissance de transformation sociale. Ainsi, la créativité citoyenne a permis l’émergence d’un nouveau modèle de société où la liberté du sujet est devenu essentielle pour la phase de transition des «pratiques établies à l’action collective »[4].

En France, par exemple, depuis les années 1970, le mouvement associatif fait preuve d’une exaltation remarquable.  Selon une étude du CERPHI, plus d’associations ont été créées durant les trente dernières années que depuis 1901[5] :

« Aujourd’hui, on estime à 1 million le nombre d’associations en activité et, chaque année, 70.000 associations nouvelles se créent (contre 20.000 dans les années 1970). La répartition des associations par secteur est la suivante :

  • Le secteur culturel est parmi les plus dynamiques avec près d’1/4 de créations « nouvelles » d’associations notamment par des jeunes. Le sport, avec 15 % de créations nouvelles, est en seconde position.
  • Le secteur de la santé et de l’action sociale occupe la 3e place. Il est à l’origine de plus de 8 % des créations mais la part des associations de ce secteur dans le monde associatif est en diminution.
  • Enfin, l’éducation, la formation et le logement conservent des parts stables dans le classement avec 7 et 8 % des créations annuelles. »

L’innovation au sein des nouvelles expériences sociales

Selon la 9e édition du dictionnaire de l’Académie française[6] « innover » est « introduire quelque chose de nouveau dans l’usage, dans une pratique, dans un domaine particulier ». C’est l’introduction d’un facteur nouveau qui caractérise l’innovation. La société a besoin de trouver nouvelles manières de répondre à ses problématiques, car ces dernières changent rapidement : les relations entre les personnes, les demandes des différents groupes ou les intérêts communs évoluent au fil du temps.

Plus largement, l’innovation sociale est liée à la « satisfaction des nécessités humaines » (Moulaert y Ailenei, 2005, citées par Morales)[7]. Cela signifie que l’objectif d’introduire des nouveautés dans le devenir social est précisément de satisfaire les besoins des personnes.  Ces besoins ne sont pas illimités et ils peuvent être classés dans les catégories existentielles « être », « avoir » et « faire », et dans les catégories axiologiques de « la subsistance », « la protection », « l’affection », « la compréhension », « la participation », « le loisir », « la création », « l’identité » et « la liberté »[8].

Les « satisfacteurs »[9]  (« satisfiers » en anglais) de ces besoins fondamentaux sont déterminés par la culture au sein des différentes sociétés ; ceux-ci ne font pas uniquement référence aux biens économiques, mais aussi à tous les aspects qui contribuent à répondre aux besoins humains et à accroître les capacités des individus et des sociétés à vivre leur propre vie à la fois matérielle et immatérielle : des normes sociales jusqu’à la culture, en passant par les structures politiques ou les relations économiques …

La variété des besoins humains a toujours existé dans toutes les cultures et périodes historiques, mais est et a été satisfait de différentes manières – grâce à satisfacteurs différents – dans les différentes sociétés et époques. Des expériences sociales innovantes surgissent souvent dans un effort pour satisfaire certains besoins qui ne le sont pas encore : elles fournissent une solution nouvelle à une demande sociale.

On peut donc dire que les innovations sociales visent à résoudre les problèmes sociaux, mais comme nous l’avons noté au début, elles contribuent à la résolution de ces derniers à travers de nouveaux processus, pratiques ou méthodes. Selon Morales[10] l’innovation sociale possède différentes caractéristiques, et peut être définie comme suit :

  • …a une origine endogène ou exogène (provenant de personnes qui expriment leurs besoins, ou provenant de personnes qui veulent aider) 
  • …contribue au développement social (amélioration du bien-être et/ou de la cohésion sociale)
  • … produit un changement original / nouveau (doit promouvoir une situation différente de celle existant)
  • …produit des résultats  positifs (il existe des indicateurs objectivables du changement produit)
  • … peut être reproductible (tendance à la diffusion)

 Compte tenu de cette définition, l’impact de l’innovation sociale est d’une importance particulière, car il est essentiel de mesurer les résultats du projet : a-t-il atteint son but ? Plus globalement, a-t-il contribué à l’amélioration du bien-être social ? Ainsi donc l’innovation sociale ne dépend pas du statut juridique de la structure qui porte le projet, ni de l’évolution technologique. Ces conditions ne sont liées à l’innovation sociale que dans la mesure où elles favorisent un impact social positif.

Par contre, c’est qui est essentiel pour considérer qu’une expérience sociale est innovante, c’est qu’elle soit reproductible. Morales, dans son travail sur l’innovation sociale, fait référence au sociologue Castells, qui a conçu le terme « glocalisation », un concept qui vise à intégrer le milieu global et le milieu local pour répondre aux besoins de justice sociale et à la nécessité de participer à une économie de marché mondiale. Dans ce sens, et après avoir considéré le lien entre l’innovation sociale et la satisfaction des besoins humains, nous pouvons considérer  qu’une expérience sociale est reproductible si elle satisfait une demande sociale déterminée dans un autre contexte que celui de sa création initiale.

 Le rôle de la citoyenneté et la participation d’un côté, la nouveauté et les résultats positifs de l’autre, sont les principaux éléments de l’innovation sociale. Cette dernière a été jusqu’à présent beaucoup plus développée de manière pratique que théorique. Au vu des solutions qu’elle invente aux problèmes sociaux, pour transformer la société, et essentiellement, pour favoriser le bien-être de ses membres, cette expérience, peut-on conclure, mérite d’être l’objet d’études plus nombreuses.

 


[1] CEPAL (2007) : « Innovación Social en Latinoamérica y el Caribe ». Info online sur : http://www.cepal.org/dds/innovacionsocial/e/concurso.htm

[2] SNJ (2009) : Éducation à la citoyenneté. Dossier online sur : http://www.snj.public.lu/dossiers/espace-qualite/education-a-la-citoyennete-web.pdf

[3] Touraine, A. (1984) : Le retour de l’acteur. Paris : Fayard

[4] Idem.

[5] CERPHI (2004) : Évolutions de la France associative. Info online sur : http://www.associations.gouv.fr/1-l-histoire-des-associations.html

[6] Dictionnaire de l’Académie Française, neuvième édition (1992-) 

[7] Morales Gutiérrez, A.C, 2009 :  « Innovación social: un ámbito de interés para los servicios sociales ». Espagne : Revista de Servicios Sociales, 2009 jun.

[8] La théorie du « développement à échelle humaine » a été développée par le Chilien Manfred Max-Neef, récipiendaire en 1983 du  Right Livelihood Award  (Prix Nobel alternatif) en économie

[9] Max-Neef, définit « satisfacteurs » comme les facteurs ou éléments qui permettent de garantir ou qui contribuent à la satisfaction des besoins fondamentaux de l’individu.

[10]Morales Gutiérrez, A.C, 2009 :  « Innovación social: un ámbito de interés para los servicios sociales ». Espagne : Revista de Servicios Sociales, 2009 jun.

 

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