Mutations de l’engagement : un changement de rapport au temps ?


le 8 décembre 2014 dans Bénévolat de compétences, Comment s'engager, Les tendances - No comments

Ces dernières années, l’engagement bénévole en France s’est transformé de manière remarquable. A tel point que les auteurs de l’étude La France bénévole 2014 menée par Recherches et Solidarités en partenariat avec Pro Bono Lab, évoquent « une fin de cycle ou un changement de modèle de l’action bénévole » [1].

Crise de l’engagement ou crise du temps ?

tempsetbénévolatLe bénévolat est avant tout un don de temps. Cela dit, il semble que les bénévoles soient de plus en plus enclins à limiter ce dernier : en 2013, 6,7% des Français déclarent s’engager de manière ponctuelle alors qu’ils ne représentaient que 4,6 % en 2010, soit une hausse de plus de 2 points [2]. Comment comprendre ce nouveau mode d’action, de plus en plus « ponctuel » ? Traduit-il une “crise de l’engagement” en France ? Doit-on craindre que plus personne ne veuille donner de son temps? A l’heure où les associations prennent des responsabilités croissantes dans tous les domaines – social, éducatif, sportif ou culturel -, la compréhension et la prise en compte de ces transformations est essentielle pour les acteurs et décideurs de notre société. 

S’il est notable que les individus ont tendance à limiter leurs engagements dans le temps, ce serait cependant une erreur de l’expliquer par une “crise du bénévolat”. Au contraire, l’étude La France bénévole 2014 révèle que les bénévoles sont de plus en plus nombreux : un million de plus entre 2010 et 2013, ce qui fait un total de 12,5 millions dans le secteur associatif au début de l’année 2014 [3] ! Cet essor a d’ailleurs été reconnu et soutenu par Jean-Marc Ayrault qui a déclaré l’engagement associatif grande cause nationale en 2014. Si les bénévoles s’engagent de manière de plus en plus ponctuelle ce n’est donc pas parce qu’ils se désintéressent du monde associatif ni des causes d’intérêt général. Dès lors, il paraît légitime de s’interroger : plutôt qu’une “crise de l’engagement” ne serait-ce pas plutôt une “crise du temps”qui modifierait le mode d’action de l’engagement bénévole ?

Dans la société actuelle, nous ressentons un phénomène d’accélération du temps. D’après Hartmut Rosa, sociologue et philosophe allemand contemporain, les avancées technologiques se développent si vite qu’elles modifient notre perception du temps et de l’espace : face à toutes les possibilités qu’elles permettent – échanges en direct à l’autre bout du monde, déplacement ultra-rapides, etc … -, nous avons l’impression de sans cesse manquer de temps [4]. Et principalement, de manquer de «temps libre ». En effet, les frontières entre temps personnel et temps professionnel, temps public et temps privé, se resserrent voire se confondent. Toujours « connectés », nous tendons vers une indifférenciation entre journée et soirée, semaine et week-end, etc. Enfin, le temps semble devenir une valeur marchande, si bien que chacune de nos actions est envisagée sous le prisme de cette interrogation : combien de temps ?

Comment aménager le temps de l’engagement? 

Cette problématique du temps est particulièrement prégnante dans le cas de l’engagement bénévole car il nécessite un «don de temps », de « temps libre » et de temps « gratuit ».  Pourtant, comme nous l’avons vu, cela ne conduit pas à remettre en question l’engagement en tant que tel c’est-à-dire la volonté de s’engager, mais interroge plutôt la manière de s’engager, en particulier la fréquence et la durée de cet engagement. La question fondamentale qui se pose alors est comment aménager le temps de l’engagement ?

mécénatcompétencesPour l’entreprise mécène, il existe une solution innovante qui commence à faire ses preuves : le mécénat de compétences. Cette pratique se développe en France à la demande des salariés et des associations, depuis la loi Aillagon en 2003, et particulièrement ces dernières années [5]. Pour les dirigeants d’entreprises, elle consiste à proposer à leurs salariés de s’engager sur leur temps de travail au profit d’un organisme d’intérêt général. Cet engagement n’est pas bénévole au sens de « non rémunéré » car il entre dans le cadre du contrat de travail avec l’entreprise. En revanche, il est bien « volontaire » car il est proposé aux salariés, sans contrainte ni obligation. Le mécénat de compétences est donc un aménagement de «temps volontaire » mais aussi de « temps libre » car choisi délibérément, pour soi-même et pour les autres – ainsi les retours des salariés engagés évoquent souvent un épanouissement personnel et un sentiment d’utilité. 

On le voit bien, le mécénat de compétences ne rétablira pas les frontières entre vie privée et vie professionnelle… Il constitue plutôt une véritable ouverture des possibles pour le salarié en manque de temps qui souhaite s’engager, de manière ponctuelle mais durable.

Copy of Logo Pro Bono Lab blanc HD carréJuliette Didier Champagne, Chargée de recherche et développement chez Pro Bono Lab

 

[1] Recherches et Solidarités et Pro bono Lab, La France bénévole 2014, 11ème édition, mai 2014, p. 3
[2] Ibid., p. 8
[3] Ibid., p. 7
[4] Harmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, trad. Didier Renault, ed. La découverte, 2010 
[5] Etude Admical-Pro Bono Lab Mécénat de compétences : comment engager les actifs ?, 2014

MécènesCet article a été initialement publié dans Mécènes – n°7 –  le magazine de tous les acteurs du mécénat. Ce trimestriel vous permet d’aborder des sujets de fond, donner des outils pratiques et des exemples inspirants, ouvrir les horizons sur le monde et les multiples partenariats…http://www.admical.org/products.asp

 

Pour aller plus loin :

Articles du blog sur des sujets proches  : 
L’édition 2014 de l’étude La France bénévole est disponible ! , par Guillaume Meyer 
Bénévolat : les nouveaux ressorts de l’engagement, par Yoann Kassi-Vivier 
Mécénat de compétences : observer en détail pour encourager la pratique, par Sarah Digonnet 
Colloque sur le mécénat de compétences : des pistes de réflexion et d’action, par Juliette Didier Champagne  

Ressources utiles : 
Recherches et solidarités 
– 
Figaro.fr, Pourquoi les entreprises ont intérêt à développer l’engagement de leurs salariés, 17/11/20
Figaro.fr, Les bénévoles sont plus nombreux qu’avant, 29/05/2014
La Croix, Exclusif : 70% des bénévoles se disent « heu-reux », 19/05/2014
– Harmut Rosa, La technique est-elle responsable de l’accélération du monde?, Conférence à l’Insa de Lyon en 2013
– France Culture parle et reçoit Francois Hartog, auteur de Régimes d’historicité, Présentisme et expériences du temps 

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