L’engagement civique et l’accueil associatif des migrants : une rencontre possible ?

L’engagement n’est pas nouveau dans le vocabulaire de l’action collective : s’engageaient les volontaires de l’An II, les militants dans la clandestinité, et les bonnes âmes dans les associations caritatives. L’engagement, s’il pouvait conduire aux excès que tout militantisme sans garde-fou inspire, est resté connoté positivement. Lui adjoindre le qualificatif « civique » pourrait infléchir cette image auprès de certains : derrière civique, on trouve la Cité ; mais s’agit-il de la Cité qui rassemble, ou de la cité qui gouverne, et donc qui impose ? En résumé, cet engagement civique, désormais inscrit dans les textes, est-il une manière de récupérer la bonne volonté des particuliers pour suppléer à des politiques publiques en mal de moyens, et donc mettre en œuvre des actions décidées par le gouvernement là où régnait l’indépendance de la société civile ?

La réserve civique, qui en est l’expression la plus récente, sinon la plus originale, naît bien de la volonté des pouvoirs publics. Trouvez les parents, vous trouverez les responsables… Pas tout à fait, parce que lesdits pouvoirs publics espèrent bien que l’enfant prendra rapidement son autonomie. La réserve civique est bien un dispositif imaginé par l’Etat, accompagné dans ses premiers pas par ce dernier, et protégée encore par cette figure tutélaire contre les abus et dérives envers les principes premiers. Pour le reste, les valeurs portées et vécues dans le cadre des missions confiées aux réservistes relèvent de la République – et non de l’Etat – et dépassent la simple contingence des politiques publiques. La réserve sera l’affaire des réservistes, et la présence essentielle des associations comme organismes proposant des missions conforte l’idée d’émergence d’une communauté autonome, en lien avec les pouvoirs publics, au profit de l’intérêt général.

« Oui, mais vous avez dit civique… » . Ah, ça, vous m’en posez, une colle. Que met on derrière civique ? Bon, rappelez-vous, cette histoire a commencé par des jours sombres de l’hiver 2015. Après la stupeur provoquée par les attentats, a suivi un grand élan de propositions individuelles d’engagement : « qu’est-ce que je peux faire pour les autres, qu’est-ce que je peux faire pour la collectivité, qu’elle ne soit pas une masse, un troupeau de victimes que l’on amène à l’abattoir sans résistance d’autrui ? » Est alors née cette idée qu’il fallait se retrouver pour œuvrer ensemble, donner de son temps et de son énergie pour les autres, afin de recevoir soi-même et de créer ainsi, un vivre ensemble dont on semble regretter l’affaissement.

« Oui, mais tout de même, civique… c’est, derrière, la casquette du préfet, la circulaire du ministre, le drapeau bleu-blanc-rouge, ceux qui sont dedans, et ceux que l’on laisse dehors… Civique, c’est ce que  qui appartient au citoyen, et bien des ressortissants de notre cher pays n’ont pas ce privilège. Par ailleurs… »

Je vois. Il se trouve que la réserve civique accueille tout le monde, ou presque. Les étrangers en situation régulière, présent sur le territoire français depuis plus d’un an sont également susceptibles de participer à un mouvement qui, par ailleurs, affiche sans ambiguïté sa volonté de brassage social et culturel, et de lutter contre les replis communautaristes. Quant à la casquette du préfet et la circulaire du ministre… elles sont là justement pour rappeler ces principes. Sur lesquels nous sommes d’accord, je l’espère.

Mais voilà, sur certains thèmes, associations et pouvoirs publics peuvent connaître un dialogue … riche et mouvementé. L’accueil des migrants est sans doute emblématique de cette relation ambivalente où les pouvoirs publics ne peuvent se passer des associations, et les associations ne peuvent se passer de critiquer l’action publique tout en l’appliquant. Il n’est gère utile de minorer la tonalité de nombreuses associations sur le sujet : certaines défendent un « droit à la mobilité » en expansion, quand les pouvoirs publics, quelle que soit la couleur politique, tendent à suivre une politique « d’immigration maîtrisée ». Cette dernière créée alors deux catégories d’étrangers en France : les sans-papiers et les migrants réguliers. Pourtant, même sur cette seconde catégorie, le traitement des cas individuels et les procédures ne sont  pas exempts de carences ou de dysfonctionnements. Comme toute action publique, dirons-nous, mais les drames humains qui en résultent donnent son expression si singulière au dossier des migrants. Les associations les dénoncent, mettent en cause le cas échéant les responsables politiques mais aussi les fonctionnaires, qui sont, pour beaucoup, les premiers affectés par ces drames et ces échecs.

Ce sujet est éminemment civique car il touche au cœur même de la République : comment accueillir en son sein les femmes et les hommes venant d’ailleurs, comment recueillir sous son manteau celles et ceux qui étaient menacés de mort sur d’autres sols ? Et comment faire que celles et ceux qui ont décidé de rester, à qui a été reconnu ce droit, puissent y parvenir sans connaître des obstacles infinis à leur intégration et les discriminations qui trop souvent affectent les nouveaux venus dans une communauté ?

Les mouvements migratoires récents vers l’Europe ont connu une ampleur sans précédent. La fragilité de la périphérie de notre continent est telle qu’ils ne faibliront pas. Pouvoirs publics et associations ont fait face à des situations d’urgence, sur les campements des dunes de la Mer du Nord ou aux portes de Paris. Ce n’est pas fini, cela ne cessera pas dans un futur proche : nous aurons besoin d’un élan collectif pour soutenir cette action, renforcer les professionnels déjà sur le terrain, les bénévoles déjà engagés.

La réserve civique doit tout naturellement être mobilisée sur ce terrain : les premières missions qui ont été déposées sur la plateforme numérique www.reserve-civique.beta.gouv.fr montrent que des associations et des préfectures ont fait appel à des réservistes pour donner des cours de français, pour accompagner des demandeurs d’asile dans leurs démarches administratives, ou tout simplement pour briser l’isolement et l’angoisse de celui qui recommence sa vie en territoire inconnu.

Alors, mobilisons, et mobilisons davantage. Pour cela, il faut  réfléchir à systématiser ce recours, en proposant des profils types de mission, en sensibilisant les associations – dont beaucoup sont de taille modeste – mais aussi les collectivités territoriales, dont certaines ont montré une grande générosité dans l’accueil des migrants, à la possibilité de s’appuyer sur la réserve civique.

Et d’ailleurs, je vais tout de suite en parler à mon pote Nicolas, dirigeant d’association de quartier : vu les finances de l’asso, pas de recrutement en vue, mais une file d’attente devant le local qui, elle s’allonge tous les matins. Nico, tu n’aurais pas besoin de quelques bénévoles civiques et solidaires ?

Pour aller plus loin, consultez les travaux de France Bénévolat « Comment mieux intégrer les réfugiés et les migrants dans nos sociétés »
https://www.francebenevolat.org/actualites/comment-mieux-int-grer-les-r-fugi-s-et-les-migrants-dans-nos-soci-t-s

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