Prospective : associations et mutation des sociétés


le 31 octobre 2012 dans Associations, Réflexions - 1 Comment

La Fonda débutait son cycle de prospective 2012/2013 le 11 octobre dernier. Lors de ce premier séminaire, l’attention était centrée sur les évolutions des sociétés et le rôle que les associations sont susceptibles d’y jouer. Les intervenants ont relevé certains obstacles à l’exercice de la prospective dans le monde associatif. Pour pouvoir se projeter, les associations ont notamment besoin de connaître les tendances sociales de fond, que les intervenants ont donc abordé. Ils ont insisté enfin sur la nécessité de l’autonomie des individus au sein des organisations pour permettre le changement.

A quoi sert la prospective ?

Pour se faire une idée de la place que les associations prendront dans les évolutions sociétales, des spécialistes de la discipline s’adonnent à l’exercice de prospective.

Les sociétés, en pleine évolution, voient en effet l’ensemble de membres qui les composent se mouvoir, s’adapter et se transformer. Les associations n’y échappent pas. Elles représentent un corps social dont les périmètres des enjeux RH et financiers rejoignent ceux des entreprises. Dans le même temps, elles bénéficient d’une influence sociale issue d’un rôle d’intermédiaire entre intérêt public et institutions publiques.

Thierry Gaudin[1] nous rappelle une définition de la prospective comme étant : « la construction d’un récit racontable du futur ». Ce récit est construit à partir de l’observation de différents phénomènes, à savoir les tendances lourdes (rapprochement virtuel des marchés, massification des transferts vers l’information numérique), les signaux faibles (développement du télétravail, floraison des monnaies alternatives) et d’autres.

Les enjeux actuels des sociétés

Comme le dit Sébastien Fontenelle : »Inquiétons nous des faits avant de nous inquiéter des causes » ; c’est pourquoi avant de réfléchir aux diverses questions qui se profilent à l’évocation de la prospective et des évolutions sociétales, faisons un rapide tour des constats de la situation actuelle.

De nombreuses sociétés souffrent, culturellement, d’un manque de capacité d’anticipation et de projection, selon Thierry Gaudin. Les évolutions démographiques laissent présager une pyramide des âges en « toupie » à horizon 2050 : la part des plus de 60 ans passera de 20% aujourd’hui à 32%. Les sociétés présentent une vulnérabilité croissante liée au rallongement des chaînes de production et de services : les tensions sont de plus en plus fortes entre la l’exploitation de matériaux et la consommation des énergies, et entre l’accélération du temps et la préservation de l’environnement.

Nos sociétés présentent ainsi des ressemblances avec des civilisations qui ont subi un effondrement (ex. : Île de Pâques). Or une société incapable d’anticiper son évolution n’est pas à même de construire les solutions à mettre en œuvre dans les différents scénarios qui pourraient provoquer son effondrement.

Les difficultés de la prospective dans le cadre institutionnel 

Selon Thierry Gaudin toujours, l’exercice de prospective est rendu plus difficile dans le cadre institutionnel, c’est-à-dire au sein de n’importe quelle organisation à qui il faut rendre compte, puisqu’il est accompagné d’une diminution de la liberté de penser et de s’exprimer. Dans ce cadre, il est nécessaire de rechercher un équilibre entre la vision gestionnaire et la vision des valeurs.

Nadia Bellaoui, présidente de la CPCA, partage ce constat d’une difficulté particulière pour la prospective institutionnelle. Dans le monde associatif les aspirations viennent encore principalement des dirigeants et la question de la place des jeunes dans les associations n’est pas assez prégnante. Plus largement, de nombreux citoyens partagent le sentiment d’un avenir qui leur échappe faute de capacité à contrôler ou à orienter leur trajectoire.

Près de 2/3 des projets associatifs qui ne sont pas jugés assez efficaces et soutenables immédiatement, n’obtiennent pas de financement. Mais qui dit efficacité à court terme ne dit pas nécessairement cohérence sur le long terme. Et de la même manière, un projet peu efficace à court terme ne le restera pas nécessairement à long terme. Selon Nadia Bellaoui, la prévalence des résultats sur les processus, dans les associations, alimente leur difficulté à articuler les savoirs. En s’organisant en réseau les associations pourraient mieux interagir et contribuer aux initiatives de changement.

Mieux connaître les tendances sociales de fond pour mieux se projeter

Selon Philippe Da Costa, Conseiller du Président du groupe MACIF, le monde associatif a certes sa propre histoire dans laquelle puiser pour construire son récit racontable du futur, mais il a aussi besoin pour progresser de connaître les tendances lourdes de la société à laquelle il prend part.

1. La tension entre richesse et nature
L’évolution des civilisations et de leurs rapports à la nature conduisent à réfléchir sur la mesure de la richesse et sur la capacité de l’homme à habiter la nature tout en la préservant. L’émergence des monnaies alternatives est un des signes de cette réflexion naissante. L’apparition de nouveaux genres de migrations (réfugiés suite aux sécheresses) montre que la tension sur les richesses disponibles (dont les biens communs) est déjà une réalité.

2. Les générations portent des visions différentes de la société
Il existe une rupture générationnelle telle que nous nous situons au passage entre deux mondes. Les jeunes portent un regard différent sur leur rapport à la société et aux façons de la changer.

3. L’irruption des NTIC [2] reconfigure le temps et l’espace
Les évolutions des NTIC réduisent virtuellement la distance géographique, provoquent à très grande échelle et de façon non contrôlable des modifications comportementales, comme les comportements dits « multitâches » ou le déplacement de l’équilibre entre affect et raison …

4. Les liens sociaux se limitent souvent à la simple transmission d’informations
On dit être à l’ère de l’information, ce qui est une opportunité pour augmenter les savoirs et construire des projets communs. Or quand on regarde la capacité à faire société aujourd’hui, on note le recul de la souveraineté et de l’autonomie de l’individu, ce qui renvoie à des questions sur la dimension que prend la « Relation » aujourd’hui.

Des travaux de prospective peu diffusés

Dans la mesure où la prospective est vue comme un récit racontable, c’est une histoire qui s’adresse à un public. Alors comme toute histoire, elle a ceux qui la portent, ceux qui ne veulent pas qu’elle s’ébruite, et même ceux qui ne se sentent pas concernés. Les représentants politiques ont tendance à tenir des discours qui rassurent, et diffusent donc peu des récits prospectifs qui pourraient inquiéter. Comme dit précédemment, nous sommes à l’ère de l’information et pour bonne partie les guerres se font au niveau cognitif.

Renouer avec les savoir-faire pour se projeter

Thierry Gaudin attire l’attention sur le fait que les systèmes d’information d’aujourd’hui ne développent pas l’autonomie mais la servitude au « Système ». Il faut re-développer cette autonomie et le savoir vivre avec la nature. Par ailleurs, le savoir-faire est souvent dévalorisé à tort par rapport au savoir. Il reste encore près de 200 peuples premiers qui ont beaucoup à nous apprendre sur ces sujets.

Décentraliser pour faciliter le changement

Dans un système centralisé il est  très difficile de prendre le pouvoir mais facile de le garder, alors que dans un système décentralisé il est  plus facile de le prendre et de le perdre également. C’est pour cela qu’il est nécessaire de décentraliser le pouvoir pour faciliter le changement d’un système. Décentraliser est notamment utile pour sortir d’un système à bout de souffle, comme le système économique et financier actuel.

La prospective ne doit pas être enfermée dans une situation technocratique, mais permettre à ce que ses réflexions soient soumises aux regards de plusieurs acteurs aux angles d’approches différents.

Enfin pour en revenir aux associations, elles ont l’urgente obligation de construire leur récit racontable. Rentrant dans une société cognitive, elles doivent renforcer leur gestion de la relation à l’information et aux NTIC. Ce retard peut être réduit en travaillant au développement de l’autonomie et de l’insertion des nouvelles générations, et en poursuivant l’effort pour marier actions collectives et initiatives personnelles.

Crédits photos : The Rocket and the Spaceship, de Gilderic, sous licence Creative Commons ; Sun kink or thermal misalignment, de kstrebor, sous licence Creative Commons.


    

[1]    Président fondateur de Prospective 2100, association internationale.
[2]    Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

One Comment on "Prospective : associations et mutation des sociétés"
  1. Yoann 4 décembre 2012 à 3 h 51 min · Répondre

    Bel article. La conférence n’a pas dû être évidente à retranscrire, mais propice au débat en tout cas !

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