Militant ou salarié : engagement pour la cause ou motivation dans le travail ?


le 30 novembre 2012 dans Professionnalisation des associations, Volontaires - No comments

Le militant : un individu «engagé »

La figure du militant est fréquemment utilisée pour désigner une certaine forme d’implication d’individus au service d’une cause, en particulier au sein du monde associatif. Selon la définition du Wikitionnaire, le militant est « celui qui lutte, qui attaque, qui défend une cause ou une idéologie, qui paie de sa personne. Relatif notamment au milieu associatif. »

L’engagement pour une cause plutôt que la défense d’un intérêt particulier donne au militant (bénévole ou salarié) une valeur intrinsèque, qui semble bien le démarquer du salarié d’entreprise, censé être avant tout motivé par une rétribution financière.

La figure du militant associatif : rappel historique

Le militant a d’abord été défini en référence au mouvement ouvrier. Puis, au cours des années 1970, le militantisme de type associatif s’affirme, porté par les mouvements sociaux. Il va progressivement incarner une force protestataire et revendicatrice de la « société civile », et se positionner face à l’Etat comme un contre-pouvoir créateur de lien social en réponse à l’anomie croissante (dégradation des liens sociaux). Le militant porte alors une « vision globale du monde » et se reconnaît dans les finalités et buts de l’association (Demoustier, 2004).

A partir des années 1980, plusieurs symptômes annoncent une « crise » du militantisme associatif : la proportion d’associations affichant un but politique ou syndical diminue sensiblement par rapport aux associations de « loisirs » (associations sportives, culturelles, etc..), la majorité des associations se déclarant apolitiques ; quant à la multi-appartenance à des associations, généralement corrélée à l’engagement politique, elle connaît également une baisse soutenue (Roudet, 2004).

Un engagement qui s’individualise fortement à partir des années 1980

L’engagement s’est depuis fortement individualisé, les bénévoles préférant s’investir au profit d’activités aux résultats visibles, plutôt que pour une « grande cause ». Ce sont les gratifications personnelles qui sont recherchées : « se sentir utile », nouer des liens sociaux, intégrer une communauté, etc. Pour reprendre les termes de Demoustier : « La relation interpersonnelle immédiate et directe est ainsi privilégiée par rapport aux formes de solidarité globales, plus lointaines et anonymes » (Demoustier, 2004). Cette recherche de la convivialité pousserait par ailleurs à éviter les sujets sensibles et notamment le traitement politique des sujets de conversation au sein des associations.

Le militantisme « moral » ou par « conscience » tel que défini par Agrikoliansky représenterait la forme la plus « pure » de l’engagement : «l’engagement (…) de ceux qui ne sont pas directement concernés par ces causes (par exemple, les militants antiracistes qui ne sont pas eux-mêmes des victimes d’actes de racisme)» (Demoustier, 2004). Le militant est donc celui qui est capable de délaisser ses enjeux personnels pour se consacrer, voire se sacrifier pour la cause qu’il défend.

Parallèlement, la spécialisation croissante du travail associatif et la professionnalisation qui en découle porterait atteinte à l’essence même de la dynamique associative où « la confiance dans les potentialités plutôt que la vérification de compétences, la polyvalence des actions plutôt que la division stricte des tâches, la confusion entre exécution et décision… ont été des moteurs vers une «mobilisation citoyenne », au prix, il est vrai, d’un « manque de rigueur gestionnaire» (Demoustier, 2004).

C’est cette ambivalence fortement marquée dans le monde associatif d’aujourd’hui, dont le rôle gestionnaire et de délégation de service public pour certaines associations va croissant, qui est abordée par Combes et Ughetto (2009) dans leur étude du travail bénévole et salarié au sein du Secours Populaire.

Le « travail » des bénévoles au Secours Populaire

L’étude de Combes et Ughetto s’appuie sur une enquête terrain auprès des permanences des fédérations du Secours Populaire : ce qu’ils relèvent, en étudiant les différentes activités auxquelles les bénévoles s’adonnent, ce sont en partie les difficultés éprouvées pour s’acquitter de certaines tâches (« le tri, le tri, ras-le-bol du tri ! » : une bénévole rejointe par ses homologues). L’organisation est aussi questionnée par les bénévoles, qui laisse grande part à l’initiative : cette dernière est source de fierté, mais aussi d’un sentiment de délaissement (« démerde-toi » interprétée comme seule consigne à l’arrivée). En même temps, les bénévoles éprouvent une certaine gêne à  assimiler leurs activités à du travail.

Un débat incarné par deux responsables du Secours Populaire (constitué de fédération indépendantes) illustre également cette dimension. Face à la demande des bénévoles de renforcer l’organisation et la gestion du travail, l’un se montre intransigeant quant à la façon de la traiter. Il craint en effet que cette demande n’exprime en quelque sorte un « souffle individualiste et nombriliste susceptible de miner l’esprit associatif, le travail menaçant l’association ». L’autre considère à l’inverse qu’ ignorer ces difficultés risque de décourager les meilleures volontés. Finalement, ce que les responsables opposent, selon Combes et Ughetto, ce sont les deux acceptions du terme engagement : engagement pour une cause, et engagement dans le travail.

L’engagement des bénévoles, un enseignement pour les entreprises?

Il serait donc possible de placer le bénévolat, mais aussi le salariat associatif, et pourquoi pas le militantisme associatif, dans sa dimension de travail: « L’engagement du travailleur associatif peut-il et doit-il se voir accorder une place, un statut ; fait-il concurrence à l’engagement pour la cause de l’association au point de menacer celui-ci ? » Ce que Combes et Ughetto suggèrent, en s’appuyant sur les travaux de Maud Simonet (2006), c’est qu’il est possible et pertinent de penser la continuité plutôt que l’opposition entre le travail dans l’entreprise et celui dans l’association.

Ainsi, l’engagement militant n’est pas à l’abri de moments de lassitude face à certaines tâches, et le travail en entreprise est aussi porté par une dimension de foi dans ce que l’on fait.  Car si tout travail implique un certain degré d’engagement, il faut souligner l’importance d’organiser et de manager cet engagement pour un travail qui puisse être « efficace, mais aussi prendre sens et être humainement supporté» (Waser, 2001).

Pour aller plus loin, lire aussi Le bénévolat : les nouveaux ressorts de l’engagement.

Sources :

Simonet M. (2006). « Le monde associatif : entre travail et engagement », in N. Alter (sous la dir.), Sociologie du monde du travail, Paris, PUF, pp. 191-207.
Waser A.M. (2008), « Pascal Ughetto, Faire face aux exigences du travail contemporain. Conditions du travail et management », Travail et Emploi [En ligne], 114 | avril-juin 2008, mis en ligne le 05 novembre 2010, consulté le 28 novembre 2012. URL : http://travailemploi.revues.org/2001
Pour aller plus loin:
Roudet B. (2004). “Entre responsabilisation et individualisation : les évolutions de l’engagement associatif”, Lien Social et Politiques, n.51, p.17-27.
Demoustier D. (2004). « Le bénévolat, du militantisme au volontariat », la doc. Française, Revue française des affaires sociales, n.4, P. 97 à 116.
Ughetto P. Combes M.C. (2009). « La professionnalisation des associations: une entrée par le travail », Communication au 3ème congrès de l’Association française de sociologie (RT 35 Sociologie de l’engagement, de la vie associative et du bénévolat, 14-17 avril)

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