La crise du militantisme et la difficulté à renouveler les dirigeants associatifs sont souvent interprétées par le monde associatif comme la conséquence de la montée de l’individualisme et comme l’expression d’un repli sur soi latent. La montée de l’individualisme affecte en effet tout particulièrement les associations car elles reposent sur « la capacité des individus à se constituer volontairement en collectifs organisés ». Comment le lien de l’individu au collectif et aux institutions va-t-il évoluer ? Quelle est la place pour les associations dans cette reconfiguration ?
Dans la tribune intitulée « Les associations face à la reconfiguration de l’individu », le président de la Fonda, Yannick Blanc, propose quelques textes de référence pour mieux appréhender les transformations de notre société qui influencent la reconfiguration des individus dans leur rapport aux institutions. Il développe ensuite quatre scénarii d’évolution de notre société, et explique le rôle potentiel qui reviendrait aux associations en son sein (1).
Vers une société d’individus reconfigurés
La révolution silencieuse que nous vivons n’est donc pas tant celle de l’individualisme que celle de la dilution des règles implicites et parfois obscures de la vie collective.
Si, dans nos sociétés modernes, l’essoufflement des idéologies, des institutions (tradition, croyances, mœurs, etc.) et des corps intermédiaires a laissé libre cours à l’émancipation de l’individu, la construction de son identité n’en est que plus incertaine et sa quête de sens plus impérieuse. L’individu moderne conjugue à la fois de multiples appartenances héritées du passé et la volonté de s’émanciper des assignations de rôle, la volonté d’être le maître de son réseau relationnel et de son parcours. La frontière entre la sphère publique et la sphère privée s’effrite alors que les individus construisent leur propre trajectoire.
L’affaiblissement du lien social, bien souvent dénoncé, est ici remis en cause. C’est la difficulté à gérer l’abondance relationnelle et à en tirer de la reconnaissance qui serait à l’origine de la désaffiliation. Contrairement aux idées reçues, lien virtuel et lien réel se confortent.
Le lien social prend ici une nouvelle dimension, en raison de l’essor des technologies de communication mais tout autant des nouvelles formes de sociabilité, à la fois plus électives et plus horizontales. (2)
En ce qui concerne l’engagement associatif « moderne », il n’est plus le fruit d’une idéologie ou d’une adhésion à un projet collectif, tout du moins au début, (3) mais bien plus l’aboutissement d’un parcours, voire d’une pédagogie du militantisme : on s’engage d’abord pour des motivations personnelles, puis pour réaliser un projet avec les autres, puis pour réaliser un projet pour autrui, et enfin pour la société dans son ensemble. (4)
Les évolutions possibles
Se prêtant à un exercice prospectif, Yannick Blanc évoque alors quatre scenarii d’évolutions possibles dont le point commun est que les associations y jouent le rôle de variable d’ajustement.
- Le scénario « Houellebecq » est celui de l’individualisme exacerbé et de l’ultralibéralisme, dans lequel l’affaiblissement des croyances est compensé par la course à la consommation. Alors que les associations « communautaires » se développent fortement, les grandes associations sont contraintes d’augmenter leur chiffre d’affaires pour survivre.
- Le scénario « Ashoka-Nespresso » est celui de l’entrepreneuriat social et de la complémentarité du binôme entreprise-association. Les associations répondent aux besoins non-solvables, emploient des travailleurs marginalisés et sont financées par les entreprises.
- Le scénario de la RGPP associative est celui de la privatisation du service public et de la mutualisation des associations qui font face à la concurrence des entreprises.
- Enfin, le scénario « Pierre Leroux 2.0 » fait référence à une société aux mains des citoyens qui échappent aux tentations de l’individualisme et s’associent de multiples façons pour parvenir à une « société véritable ».
Quelques mois plus tard, les Universités d’Automne de la Fonda ont permis de dégager quatre scenarii prospectifs construits grâce à l’animation de groupes de travail locaux sur les territoires. La question reste entière : quel rôle les associations peuvent et doivent-elle jouer pour accompagner les « individus reconfigurés » ?
Sources :
(1) Yannick Blanc, Les associations face à la reconfiguration de l’individu, Tribune Fonda, 2011 (2) Roger Sue, De l’intérêt d’être bénévole (3) Seulement 6% des bénévoles citent le « projet associatif » comme un élément déterminant de leur engagement pour l’association selon l’étude La France Bénévole 2012 (4) Bénédicte Harvard Duclos –Sandrine Nicourd - Pourquoi s’engager : Bénévoles et militants dans les associations de solidarité – Paris – Payot – 2005. (5) Réforme Générale des Politiques Publiques