Le pro bono d’un point de vue anthropologique

Des recherches récentes ont souligné les mutations de l’engagement bénévole. A la question « qu’est-ce-qui explique le choix d’une activité bénévole ? », les réponses indiqueraient une nouveauté d’approche : on peut citer par exemple la recherche du plaisir ou encore la volonté de développer ses compétences professionnelles. Yannick Blanc, Président de la Fonda, donne un éclairage complémentaire à  l’enjeu que représente le bénévolat dans le monde associatif : « Le constat d’une crise du militantisme, de la difficulté à renouveler cadres et dirigeants associatifs renvoie au spectre du repli sur soi qui caractériserait l’évolution des mœurs et de l’idéologie »[1].

Toutefois, la majorité des conclusions de ces études retiennent la recherche du sens, ou encore la recherche de l’utilité (« être utile à la société et faire quelque chose pour les autres ») comme source de motivation principale à l’engagement bénévole. Recherche du sens qui semble caractériser aussi les choix professionnels chez les jeunes de la « génération Y ». La recherche de l’utilité, si on la rattache par ailleurs à l’affirmation récente de la notion d’utilité sociale, est liée à la question des valeurs, à ce que les individus jugent utile pour la société, en un temps et un lieu donnés.

Le bénévolat, un don créateur de lien social

La question de l’engagement bénévole peut être abordée d’un point de vue anthropologique, en particulier à travers le paradigme du don-contredon élaboré par l’ethnologue Marcel Mauss. Considéré comme le père de l’anthropologie française et l’un des piliers de la discipline, Mauss a étudié le fonctionnement de sociétés dites archaïques. La démarche de Mauss, empirique, attribue aux significations données par les acteurs eux-mêmes une portée d’explication des phénomènes sociaux. Ses recherches ont abouti à la découverte d’un fait social particulier, le don, qu’il traite comme un « fait social total ». Le don est un fait social total parce qu’il a des conséquences structurantes sur la société dans son ensemble.

La dynamique du don et du contre-don est en effet articulée autour de trois actes bien différenciés, trois « obligations » : donner, recevoir et rendre, qui « créent une état de dépendance qui autorise la recréation permanente du lien social ». C’est cette dynamique qui permet la circulation de l’information et, en tissant des relations de confiance, d’éviter la désintégration sociale et la guerre. C’est alors « qu’une histoire commune peut commencer à s’écrire, pour le meilleur ou pour le pire ! ».

Dans bon nombre de civilisations archaïques (…) les échanges et les contrats se font sous la forme de cadeaux en théorie volontaires mais en réalité obligatoirement faits et rendus »[2]

Une des définitions du sens renvoie par ailleurs à l’interprétation subjective d’un message, exprimé à travers l’usage d’un code donné. Si le don est un moteur de la construction de sens, il semble intéressant d’analyser le pro bono sous cet angle. Les conditions particulières du partage qui s’opère grâce à des activités telles que le bénévolat ou le mécénat de compétences suggèrent naturellement une dynamique d’échange, de don et de contre-don, plus certaine que dans le cas de la forme classique de mécénat financier.

Ces activités offrent un cadre qui permet notamment la rencontre humaine, et par là une reconnaissance de sujets traditionnellement opposés, entreprises et associations. Les associations n’ont pas le monopole du sens, et les entreprises ne sont pas seules détentrices de compétences. Les premières et les secondes peuvent donc être associées dans une dynamique collective de construction de valeurs communes et de renforcement des liens sociaux.

Pour aller plus loin : Bénévolat : les nouveaux ressorts de l’engagement

Crédit photo : Cordes, de Daniel Delsol, sous licence Creative Commons.

Sources :
Roger Sue et Jean-Michel Peter, Rapport de Recherche Intérêts d’être bénévole, synthèse des résultats, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris-Cité, Crédit Mutuel et La Fonda.
Jacques T. Godbout, en collaboration avec Alain Caillé, L’esprit du don, 1992 http://classiques.uqac.ca/contemporains/godbout_jacques_t/esprit_du_don/esprit_du_don_intro.html#_Quand_le_don
Isabelle Douart, Mécénat de compétences, une autre source de financement, 2008.
Lionel Prouteau et François-Charles Wolff, Les motivations des bénévoles. Quel pouvoir explicatif des modèles économiques ? 2004.


[1] Yannick Blanc, Les associations face à la reconfiguration des individus, La tribune Fonda – octobre 2011
[2]  Marcel Mauss, Essai sur le don, édition 1950, p.147

One Comment on "Le pro bono d’un point de vue anthropologique"
  1. Rebboah 8 novembre 2012 à 13 h 48 min · Répondre

    Très intéressant cet article !

    L’engagement associatif permettrait de retisser du lien, de promouvoir des valeurs fortes, de défendre une cause sociale, d’appartenir à un groupe… Autant d’éléments réinjectant du holisme dans une société individualiste et réintroduisant du sens dans le concept de société. Ce que peut-être l’entreprise ne permet pas.

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