Notion ambivalente et multidimensionnelle, le concept de responsabilité sociale des entreprises a connu, au cours des dix dernières années, une double évolution : une multiplication des discours d’un côté et une extension de sa sphère d’application de l’autre. Entre volonté de communication et désir d’impact social, la RSE se définit aujourd’hui de plus en plus comme un outil stratégique et transversal qui participe à l’amélioration de la performance de l’entreprise.
La RSE connait non seulement une notoriété croissante dans les stratégies de communication des entreprises - en 2010 64% des plus grandes entreprises des pays industrialisés ont mis en avant leurs politiques RSE contre 41% en 2005 - mais le concept, initialement centré sur le développement durable, s’est élargi aux pratiques de GRH (conditions de travail, santé, formation, conciliation vie professionnelle / vie privée, égalité professionnelle hommes-femmes, discrimination…) ainsi qu’aux rapports de l’entreprise avec ses fournisseurs et ses clients. Au-delà du marketing social et de la simple approche communicationnelle de la responsabilité sociale qui prévalait à la fin des années 1990 se dessine donc une approche plus stratégique destinée à utiliser la RSE comme un levier de performance de l’entreprise.
Quelles retombées positives sur la compétitivité de l’entreprise peut-on attendre d’un modèle d’entreprise capable de concilier la performance économique avec la performance sociale ? En réponse à cette problématique s’est tenu le 1er février 2012 le colloque « Responsabilité sociale et compétitivité : un nouveau modèle pour l’entreprise » organisé par le Centre d’Analyse Stratégique, et sur lequel cet article s’appuie.
La RSE entre obligation légale et potentiel de croissance pour l’entreprise
La responsabilité sociale des entreprises est une notion ambivalente : plus qu’une simple obligation légale, elle est surtout un levier de compétitivité stratégique.
- La RSE comme obligation réglementaire
Selon la définition de la Commission Européenne, la RSE est le fait «non seulement de satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi d’aller au-delà et d’investir davantage dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes » 3.
La responsabilité sociale est devenue une obligation juridique en 2002 avec la Loi sur les Nouvelles Régulations Économiques (NRE) qui oblige les sociétés françaises cotées à intégrer des données sociales et environnementales dans leur rapport de gestion annuel. Aujourd’hui, l’article 225 du Grenelle 2 modifie la loi NRE en tentant de mettre en oeuvre une gouvernance écologique plus stricte : elle va obliger progressivement les entreprises françaises de plus de 500 salariés (soit 2500 entreprises au total) à intégrer des informations extra-financières dans leur reporting afin de faire connaître leurs comportements en matière de RSE.
Cette réglementation a toutefois une portée limitée car elle ne tient pas compte des spécificités de chaque entreprise. C’est ce que souligne le président d’Accenture, Christian Nibourel, selon qui l’empreinte sociale d’une entreprise, c’est-à-dire la prise de conscience de l’externalité de ses activités sur ses salariés, ses partenaires et sur la société au global, dépend étroitement de son activité et de son business model.
- La RSE comme source de compétitivité
Les premiers travaux économiques établissant un lien entre RSE et performance de l’entreprise datent de 1995 : l’article de James Hamilton démontre cette année-là que les émissions toxiques des entreprises américaines à la fin des années 1980 avaient eu effet négatif sur leur cours boursier. Cependant, quantifier les coûts associés à une attitude non responsable de l’entreprise n’est pas suffisant : il s’agit également d’évaluer les bénéfices d’une démarche responsable.
Selon la Commission Européenne et le Centre d’analyse stratégique, la RSE améliore la compétitivité de l’entreprise à travers cinq leviers principaux :
1) La hausse de la productivité du capital : investir dans des technologies vertes et des nouveaux process permet non seulement d’optimiser les coûts de fonctionnement par une réduction des gaspillages mais également de bénéficier d’un appareil de production plus productif et innovant. Ainsi, en travaillant à des matériaux plus légers et en développant un acier à ultra haute densité, le groupe Renault-Nissan se positionne comme un futur leader mondial des voitures électriques avec le lancement de huit nouveaux modèles zéro émission d’ici 20164.
2) La hausse de la productivité du travail via les dépenses de formation qui, selon la théorie économique de Gary Becker, aident à constituer un capital humain au même titre que les dépenses d’investissement des entreprises. En accord avec cette théorie, le groupe Saint Gobain, lauréat du Trophée du Capital Humain 2011, a mis en place dès 2010 un module de formation en ligne Adhere afin de garantir la diffusion de ses Principes de Comportement et d’Action à l’ensemble des collaborateurs dans le monde. Ce programme, disponible dans 22 langues, a déjà été suivi par plus de 20 000 collaborateurs.5
3) L’amélioration de la satisfaction des collaborateurs et l’attraction de salariés « intrinsèquement » motivés, moins sensibles aux seules incitations financières. Dans cette optique de recrutement, Danone organise depuis 2004 le jeu « Trust by Danone » dans 16 pays à travers le monde : ce jeu est destiné à mettre des candidats à haut potentiel dans des situations réelles de management afin d’élaborer une stratégie pour une filiale du groupe en conciliant les objectifs économiques, sociaux et environnementaux.6
4) L’accroissement de l’efficacité organisationnelle via la valorisation par l’entreprise de ses activités de long-terme et de ses actifs immatériels. A l’échelle macro-économique, ces actifs immatériels, estimés en 2004 à environ 120 milliards d’euros soit 7% du PIB français, contribuent à créer de la valeur 7. Sur le plan microéconomique, les actifs immatériels et notamment le capital organisationnel - c’est-à-dire la capacité de l’entreprise à mobiliser et à partager ses compétences, ses savoir-faire spécifiques, ses ressources numériques et son capital social et relationnel – constituent les ressources internes qui sont spécifiques à l’entreprise et qui peuvent donc lui donner un avantage compétitif. Ainsi, pour favoriser le partage et la circulation de l’information au sein de l’entreprise, GDF Suez a mis en place un réseau social interne « SolidarNet » permettant les échanges sur les sujets RSE, la formation, etc.
5) Une redéfinition des règles de gouvernance dans les hautes instances décisionnelles permettant une meilleure anticipation des risques supportés par les autres parties prenantes. La discussion collective entre dirigeants et syndicats peut permettre de favoriser l’acceptation de nouvelles orientations stratégiques et à mieux anticiper les mutations8. Lorsqu’en raison de la conjoncture économique de 2009, Renault a dû avoir recours au chômage partiel, il a convenu avec les organisations syndicales partenaires et avec l’État français un Contrat social de Crise permettant aux salariés de maintenir leurs rémunérations nettes durant les jours chômés9.
Le lien entre RSE et performance dans la pratique
D’après les recherches récentes, il apparaît que c’est la combinaison cohérente de bonnes pratiques environnementales, sociales et de gouvernance qui influe sur la compétitivité de l’entreprise et non l’un de ces facteurs isolé. En d’autres termes, c’est la synergie de l’empreinte économique de l’entreprise avec ses empreintes sociale et environnementale qui conditionne sa performance durable10.
Une seconde condition de la crédibilité de la démarche RSE de l’entreprise est l’exemplarité du dirigeant. Celle-ci peut par exemple prendre la forme d’un engagement associatif, comme celui de Gérard Mestrallet aux côtés de la Fondation Agir contre l’exclusion.
Le développement de la RSE chez les entreprises : trois défis à relever
- L’existence de barrières culturelles. Certains secteurs restent assez réticents à certaines pratiques responsables. Christian Nibourel rapportait ainsi avoir proposé à ses consultants et à ses clients de fonctionner partiellement en télétravail afin d’améliorer à la fois le bilan carbone d’Accenture et l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle de ses salariés. Toutefois, seuls 300 des 5000 salariés concernés ont pu bénéficier de cette mesure, notamment parce que les entreprises clientes considéraient que les consultants devaient être disponibles et prêts à travailler dans leurs locaux tous les jours.
- L’appropriation de la responsabilité sociale par les PME. Les petites et moyennes entreprises manquent parfois d’outils et d’expertise pour déployer une démarche de responsabilité sociale, notamment dans un contexte économique morose. Les PME sont toutefois de plus en plus mobilisées sur le sujet et certaines arrivent même à conjuguer performance économique et responsabilité sociale. La PME Bel’M, spécialisée dans la fabrication de portes d’entrée, affiche un excédent brut d’exploitation de 20% tout en adoptant des pratiques environnementales et sociales : certification du bois et éco-conception des portes, actionnariat salarié à hauteur de 10% du capital, création d’une association régionale « Dirigeants responsables de l’Ouest », division par sept des accidents du travail en quelques années, etc.
- La certification de l’extra financier et l’harmonisation de l’évaluation. La mesure de l’impact est une problématique courante en matière de RSE. Si certaines données extra-financières peuvent donner lieu à des valorisations financières « classiques » (investissement, économie de matière et d’énergie…), d’autres sont difficilement mesurables du fait de leur caractère immatériel. Là aussi, certaines évolutions sont à noter comme l’adoption de la norme ISO 26000 de l’AFNOR ou la spécialisation d’agences de certification – comme l’agence Vigéo - dans la mesure de la responsabilité sociale.
Bouquet de bonnes pratiques sociales, environnementales et de gouvernance, la responsabilité sociale des entreprises constitue un véritable levier de compétitivité durable, pour preuves ses retombées potentielles : innovation technologique, recrutement de nouveaux talents, optimisation de l’efficacité organisationnelle et anticipation stratégique. Le pro bono, c’est-à-dire le partage des compétences des salariés au profit d’associations partenaires, s’inscrit au cœur des problématiques RSE. Les bonnes pratiques sociales qu’il implique génèrent pour l’entreprise des avantages aux natures différentes et complémentaires. Il constitue donc un levier d’action prometteur de la RSE de demain.
Crédit photo : Yellow Tree, par Andrew E. Larsen, sous licence Creative Commons.
1 KPMG (2005), KPMG International Survey of Corporate Responsability Reporting 2005
2 UN Global Compact et Accenture (2010), A new era of sustainibility
3 Commission européenne (2001), Livre vert : Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises
4 Nissan, http://www.nissan-global.com/EN/REPORTS/2011/10/111024-02.html
5 Trophée du capital humain (2011), http://www.tropheeducapitalhumain.com/images/booklet_TCH.pdf
6 Trust by Danone, http://www.trustbydanone.com/
7 Black S.E., Lynch L.M., 2006, « Measuring organizational capital in the new economy », In Measuring Capital in the New Economy, C.Corrado, J.Haltiwanger and D.Sichel (eds.), University of Chicago.
8 Cavaco,S. et P.Crifo, 2010, The CSR missing link : complementarity between environmental, social and business behaviors criteria ?, Cahier de recherche du département d’économie de l’Ecole Polytechnique , n°2010-19.
9 Trophée du capital humain (2010), http://www.tropheeducapitalhumain.com/docs/brochure_2010.pdf
10 S.Benhamou, 2010, « Améliorer la gouvernance et la participation des salariés », Rapport du Centre d’Analyse Stratégique, Juin 2010.