Le mécénat tire son nom de Mécène, un personnage de la Rome Antique qui consacra sa fortune et son influence à promouvoir les arts et les lettres. En France, il s’est développé dans les entreprises depuis les années 1970 et a connu de nombreuses évolutions, tant dans sa conception que dans son application.
70’s-80’s : L’âge des bonnes oeuvres
La culture politique française accepte l’Etat comme garant de l’intérêt général. Dans les années 1970, certains grands patrons d’entreprise souhaitent participer d’une manière originale à la société civile. A ce moment là, l’approche du mécénat est assez traditionnelle, il s’agit pour les dirigeants d’accomplir de bonnes oeuvres, ou d’en soutenir la création dans une démarche personnelle voire familiale - c’est parfois la femme du PDG qui s’en occupe ! A l’instar de Mécène, le mécénat est essentiellement orienté vers la promotion de la culture, il permet donc à l’entreprise de se rapprocher des artistes. Ce mécénat est aussi quasi-exclusivement financier. En 1979, la création de l’ADMICAL est un signe fort de cette forme d’engagement renouvelée qui se déploie sur le territoire français, même si aujourd’hui son approche s’est modernisée.
90’s : L’âge de l’implication territoriale
Au début des années 1990, un nouveau postulat voit le jour et s’affirme : désormais, l’entreprise devra être citoyenne. Le modèle entrepreneurial occidental a gagné la bataille économique face au modèle du tout-Etat soviétique, mais il a fait émerger des intérêts privés qui intègrent parfois mal l’intérêt général et la vie de la cité. Face aux grandes crises industrielles et a un certain désenchantement, le mécénat devient une opération de communication pour les grandes entreprises. Les axes principaux d’action évoluent et se tournent vers l’insertion professionnelle, l’implantation locale et la lutte contre les effets destructeurs de la désindustrialisation. Cette logique de mécénat à double effet économique et social rapproche les entreprises des associations dans un contexte d’ancrage territorial. Elle est encore essentiellement promue par la direction des entreprises, et ainsi en 1986 l’IMH est créée par Claude Bébéar, avant de devenir en 1992 l’IMS.
00’s : L’âge de la mobilisation et des partenariats
Une vague de changements intervient au cours des années 2000. Elle va placer les entreprises dans une logique de contrôle accru de leurs actions de mécénat. D’abord, les NTIC permettent l’expression plus facile d’une frange croissante de la société, et les entreprises s’aperçoivent qu’elles doivent canalyser un nombre croissant de forces dans leur environnement. Le mécénat devient pour elle l’occasion d’impliquer leurs collaborateurs notamment à travers le mécénat de compétences, et le bénévolat de compétences. Ensuite le concept de développement durable s’est largement imposé, et les partenariats conclus sur des démarches personnelles venant de la direction, parfois peu renouvelables sont critiqués. Il s’agit d’établir avec le bénéficiaire une relation de confiance durable pour un développement continu de programmes communs. Ces bénéficiaires sont de plus en plus souvent les associations qui emportent une adhésion croissante dans la société française, et que J.P Raffarin dit dès 2001 vouloir impliquer dans une cogestion de l’intérêt général. Enfin, ces deux bouleversements conduisent à une réorientation : pour se placer dans une logique de long terme et qui puisse emporter l’adhésion la plus large, les mécènes soutiennent de plus en plus des actions de solidarité. En 2003, la loi Aillagon vient encourager le mécénat grâce à une déduction fiscale.
10’s : L’âge de l’investissement ?
A l’entrée des années 2010, nous pourrions faire quelques pronostics. Tout d’abord, les difficultés financières ont réduit les moyens de l’Etat qui s’engage fermement dans une recherche d’associés pour soutenir l’intérêt général et préserver le bien public. Les entreprises sont désignées comme les coacteurs de l’intérêt général, et la puissance publique leur demande un investissement nouveau qu’exige à haute voix la société civile, désormais renforcée par la quête de sens des jeunes de la Gen Y. Les entreprises ne sont pas les seules dont l’implication est désirée : symbole majeur, Roselyne Bachelot disait même il y a quelques semaines que les associations sont aussi les garantes de l’intérêt général. Pour le mécène, il va désormais s’agir de trouver comment participer à une oeuvre d’intérêt général stratégique pour l’entreprise, afin de justifier un investissement croissant. Il est essentiel également d’avoir le maximum d’impact pour les sommes investies, afin de valoriser l’effort. L’accent est mis sur l’innovation sociale, à travers des dispositifs nouveaux permettant un fort effet de levier: prêts bonifiés, entrepreneuriat social, BOP, venture philanthropy, pro bono, etc… Pour une France perturbée dans une Europe en crise, il s’agit de changer de modèle, et ainsi en 2008 les fonds de dotation ont vu le jour avec plus de souplesse que les fondations.
Pour évoluer, il faudra aussi changer notre approche du risque, quitter l’optique de contrôle de la décennie précédente pour adopter une culture de la confiance : confiance envers ses partenaires, envers ses collaborateurs, envers les retombées et perspectives de son action. C’est en fait une confiance en l’homme et en l’avenir qui doit prédominer sur une culture économétrique et rétrospective de la décision, afin que nous puissions résoudre les problèmes sociaux tous ensemble, ce qu’ils exigent.
Cet article a été conçu par Patrick Bertrand, fondateur de Passerelles et Compétences, et rédigé par Antoine Colonna d’Istria. Créée en 2002, Passerelles et Compétences met en relation des associations de solidarité et des professionnels, dans le cadre de missions ponctuelles de bénévolat de compétences.