Depuis quelques années, l’espace a repris ses lettres de noblesse dans les théories économiques avec un regain d’intérêt pour la localisation des entreprises : la récente vidéo de Chrysler pour Detroit diffusée pendant le Super Bowl suffit à s’en convaincre. La pratique du pro bono s’avère être un facteur d’ancrage territorial aux externalités positives multiples. En effet, l’implication d’une entreprise dans la communauté permet de mieux connaître les parties prenantes, d’améliorer son environnement et ainsi de réduire ses risques.
Aujourd’hui, Olivier Frey nous aide à définir le territoire d’une entreprise.
Les théories économiques ont toujours eu du mal à intégrer l’espace dans l’analyse et peu de travaux se sont intéressés au rôle qu’il peut avoir dans la performance industrielle. La prise en compte de l’espace dans l’explication des phénomènes économiques a beaucoup évolué depuis les premiers travaux réalisés sur la localisation des activités par les pionniers de l’école allemande de la localisation. Si ces derniers considéraient l’espace comme un élément passif entrant dans le calcul économique des agents, un simple « réceptacle de l’activité économique »[1], on a vu se développer, depuis le début des années 1980, de nombreux travaux montrant au contraire l’intérêt de redéfinir le rôle de l’espace afin de mieux rendre compte de son importance dans l’analyse économique.
La relation entre firmes et territoires peut être abordée sous deux angles différents : on distingue les approches centrées sur la firme de celles qui se positionnent du côté du territoire. Pour une entreprise, il s’agit d’expliciter les facteurs qui influencent son implantation à un endroit plutôt qu’un autre. Par ailleurs, il faut identifier les ressources qu’une entreprise recherche au moment de son implantation dans un territoire donné pour finalement aboutir à la localisation optimale de l’entreprise à un instant t. Traiter cette question revient en fait à s’interroger sur son contraire, la délocalisation. Si les entreprises sont bien inscrites dans un espace géographique, cette inscription n’est pas figée et certaines vont pouvoir se délocaliser dans d’autres régions ou pays qui seront plus à même de leur offrir les ressources dont elles ont besoin ou d’améliorer leur profit. Si une entreprise peut se délocaliser, s’enfuir de son territoire aura un coût et freinera bien souvent les ardeurs des entreprises ayant tissé des liens avec ce même territoire.
Vous trouverez ici quelques exemples de territoires modèles développés dans la théorie économique. A ces approches classiques qui considèrent le territoire comme un donné, on préfère désormais opposer une approche plus progressive : on parlera d’analyse en termes de proximité.
Le territoire vu comme un construit, les analyses en termes de proximité
S’inspirant de certains des apports des concepts précédents et partant de l’idée que l’espace n’est pas un « réceptacle neutre et uniforme » des stratégies des acteurs[2], l’approche par la proximité vise à les dépasser en ajoutant explicitement la dimension spatiale à l’analyse économique du territoire. Avec le développement des nouvelles technologies de l’information et des communications, « les acteurs économiques et sociaux se trouvent souvent en situation d’ubiquité, c’est à dire capable d’être à le fois simultanément présents ici et ailleurs »[3]. Ainsi, il faut dorénavant raisonner en terme d’agents situés, ce qui représente une rupture par rapport à « l’approche de l’espace, telle que nous l’enseignait la vision traditionnelle de la théorie de la localisation, qui était de penser des agents qui seraient là et pas ailleurs »[4].
La proximité géographique représente l’ensemble des liens qui peuvent exister entre les agents économiques du fait de la distance qui les sépare sur l’espace géographique[5]. Pour Rallet[6], la proximité géographique est définie « par la distance itinéraire, fonctionnellement exprimée en coût ou/et temps et elle est évidemment dépendante des infrastructures et services de transport ». Elle ne se réduit pas à une distance physique mais est considérée comme un construit qui prend sa forme dans les interactions sociales marchandes et non marchandes, qui est conditionné par la temporalité des phénomènes économiques et sociaux. Pour Rallet et Torre[7], la proximité géographique n’est pas forcément qu’une donnée objective, mais est le résultat de l’opinion que les individus se font de la nature de la distance qui les sépare. Il s’agit pour ces individus de prendre en compte les divers paramètres qui influencent la notion de distance. Ces paramètres peuvent aussi bien être des données objectives (km, temps, prix) que les perceptions que les individus en ont, perceptions qui varient selon l’âge, le sexe, le milieu social… Les auteurs voient donc la proximité géographique comme une contrainte qui s’impose à un instant t aux agents pour développer leur action, mais, d’un autre côté, elle entraîne l’établissement de liens entre les différents agents. Néanmoins, une proximité géographique entre deux individus n’est pas forcément source de coopération entre ces mêmes individus, elle peut même s’accompagner de conflits. D’un autre côté, avec le développement des NTIC, il est désormais beaucoup plus simple de se rapprocher de quelqu’un qui est géographiquement éloigné. Mais au final, la proximité géographique ne permet pas à elle seule de générer des synergies. Par conséquent, afin d’être un catalyseur pour les relations d’interactions, la proximité géographique doit obligatoirement être croisée et activée par une proximité qui n’est pas de nature spatiale mais plutôt de nature relationnelle qu’on appelle proximité organisée.
La proximité organisée est basée sur les relations entre agents et Rallet et Torre la définissent comme la capacité d’une organisation à faire interagir ses membres. L’organisation facilite les interactions en son sein et les rend plus faciles que pour les entités situées en dehors de l’organisation, grâce aux logiques d’appartenance et de similitude. Ainsi, selon la logique d’appartenance, deux membres d’une organisation sont proches parce qu’ils interagissent et que leurs interactions sont facilitées par les règles ou routines de comportement qu’ils suivent. La logique de similitude implique que deux individus sont proches parce qu’ils partagent un même système de représentations, ce qui facilite leur capacité à interagir.
Finalement, le territoire d’une entreprise peut se définir comme le recouvrement singulier de proximités géographique et organisée. Par conséquent, le territoire ne peut se réduire à un simple espace ou à un réceptacle de l’activité économique mais il faut plutôt le considérer comme une construction dynamique résultant des interactions entre les différents acteurs parties prenantes d’un territoire. Ce positionnement théorique en faveur d’un territoire construit permet d’étudier de manière plus précise la dialectique qui s’opère entre les firmes et leurs territoires d’implantation.
OLIVIER FREY, Docteur en Economie de l’Université Paris XI
Spécialiste des entreprises coopératives en général, et des coopératives agricoles en particulier, sa thèse a porté sur le rôle de ces dernières dans la structuration des filières et des territoires. Depuis 2004 il travaille dans le milieu des coopératives, que ce soit chez Coop de France ou au Groupement National de la Coopération. Désormais consultant freelance, il réalise des formations auprès des coopératives et de leurs adhérents et des études économiques pour des clients tels qu’Eurostaf ou le Crédit Agricole.
Son profil Viadeo
[1] CGP. (1995) L’ancrage territorial des activités industrielles et technologiques. Rapport de recherche coordonné par J.B. Zimmermann. Paris, Commissariat Général du Plan.
[2] Dupuy C., Gilly J. P. (1996) « Apprentissage organisationnel et dynamique territoriale », in Pecqueur B. (ed.), « Dynamiques territoriales et mutations économiques », Paris, L’Harmattan.
[3] Rallet, A., Torre, A. (2004) « Proximité et localisation », Economie Rurale, 2004, 280, Mars-Avril, p. 25-41.
[4] Zimmermann, J-B. (2002) « « Grappes d’entreprises » et « petits mondes »: une affaire de Proximités », Revue Economique, Vol.53, n°3, Mai, p. 517-524.
[5] Colletis, G., Rychen, F. (2004) « Entreprises et territoires : proximités et développement local », in Pecqueur B., Zimmermann J.B. (sous la direction de) « Economie de Proximités », Hermès, Paris, p. 207-230.
[6] Rallet, A. (2002) « L’économie de proximité. Propos d’étapes », Etudes et Recherche sur les Système Agraires et le Développement, INRA, n°33, p. 11-23.
[7] Rallet, A., Torre, A. (2004) « Proximité et localisation », Economie Rurale, 2004, 280, Mars-Avril, p. 25-41.
Le bouillonnement des territoires que nous observons aujourd’hui influence considérablement le choix de localisation des activités économiques.La proximité organisationnelle devient de plus en plus un avantage compétitif pour les territoires. Dès lors, comment peut-on redéfinir « une localisation optimale » dans un contexte de dynamique territoriale?