En Espagnol, le volontariat se dit « voluntariado ». Il est donc lié à la « voluntad », le choix spontané ou volonté. En cela, ce terme reste proche de notre terme français, et il recouvre la même réalité. «Voluntad » signifie aussi « gré » (de buena voluntad, de bon gré). En français, on dit aussi « au gré de », qui laisse entrer une note fantaisiste, voire capricieuse, au sens de ce mot. Au gré de qui le volontariat espagnol s’est-il maintenu ?
L’Espagne religieuse
«Voluntad» a également pour sens l’affection, l’attachement, la grâce. Le volontariat est une action d’amour envers son prochain, attitude célébrée par la religion (re-ligare, relier les individus). Ce qui n’a rien d’étonnant, puisqu’en anglais, un « volunteer » est également quelqu’un qui paie sans obligation légale la dette de quelqu’un d’autre (qui est alors comme gracié de sa dette). Ceci explique peut-être pourquoi le volontariat, l’action charitable, a très tôt été sous l’égide des institutions religieuses. L’Espagne en ce sens diffère peu de la France : associations portant le mot croix dans leur raison sociale, personnes religieuses à l’origine d’associations en aide aux plus démunis… L’on pourrait même dire qu’étant fondamentalement plus religieuse que la France (le catholicisme sous Franco, soit jusqu’en 1975, est religion d’Etat), l’Espagne du XXème siècle a peut-être plus incité à l’action caritative.
Les coopératives, première forme d’engagement laïc.
Le volontariat est d’abord lié au travail : au milieu du XIXème siècle, principalement en Catalogne, furent créées des coopératives de travail. Leur but était de sauvegarder et de défendre les intérêts de leurs membres. Ces coopératives atteignirent leur pic dans les années 1931-1939. Après la guerre civile (1936-1939), une phase plus répressive s’engagea, au gré du dictateur Franco, et le nombre d’organisations volontaires ne commença à augmenter que dans les dernières années de la dictature (début des années 1970).
Par la suite, le volontariat exprima une volonté démocratique: le “boom” eut lieu avec la Constitution démocratique de 1978 et les nouvelles institutions. Des droits garantis et un nouveau modèle d’organisation territoriale furent mis en place, avec la création des régions autonomes. Le volontariat fut alors lié à l’espace libéré par l’Etat/les Etats. A la fin des années 1970, bon nombre de mouvements civiques souffrirent d’une crise liée au règne de l’Etat Providence, considéré comme garant des droits sociaux et principale aide aux besoins jusqu’au milieu des années 1980. Durant cette période, la participation citoyenne aux associations était de 37% en 1973, et seulement de 23% en 1980.
Le renouveau de l’action sociale.
Mais bientôt les limites de l’Etat Providence se firent sentir. Les associations virent leur image s’améliorer et leur champ d’action s’agrandir. Les individus et les gouvernements ne boudèrent plus le volontariat. Le secteur du volontariat espagnol tel qu’il apparaît aujourd’hui a été modelé durant cette période. Le Tiers secteur est peu à peu devenu un fournisseur de services en association avec l’Etat.
Dans les années 1990, l’Espagne fut le terrain du renouveau de l’action sociale, qui parvint à atteindre les sommets dans les années 1970. De nouvelles organisations, généralement moins «institutionnalisées», virent le jour. Cependant, leur classification est extrêmement difficile dans la mesure où celles-ci incluaient la jeunesse, l’écologie, la culture et d’autres formes locales d’organisation. En outre, au cours de cette décennie le tiers secteur vécut une période de régulation, de diversification et de complexification, qui le caractérisent encore aujourd’hui.
Corrélativement à la défection religieuse s’est donc mise en place une forte tradition de relations entre Etat et actions sociales, héritée de l’Etat Providence. L’Etat et les Etats sont encore à ce jour les acteurs principaux dans le lancement de politiques sociales, mais sont cependant plus enclins à déléguer : cette évolution aide à cerner les relations actuelles entre Etat, associations et entreprises. Le volontariat est maintenant plus proche de l’action philanthropique, du mécénat d’entreprise et de l’éducation, que de la ferveur religieuse. Le volontariat espagnol actuel, comme le volontariat français, est le résultat d’une laïcisation de la société qui, en réduisant l’impact religieux, a également ôté aux institutions religieuses leurs anciennes prérogatives.
Aujourd’hui, la majorité des associations agissent localement, au sein des communes (52%), autonomes ou locales. Les associations agissant à un niveau national se sont que 9% du total. On note donc aujourd’hui une perte de monopole des autorités centrales espagnoles dans le soutien et la promotion du volontariat. En définitive, ceci semble logique, dans la mesure où la mondialisation des activités s’est accompagnée dans bien des pays d’un regain d’intérêt pour l’ancrage dans son propre territoire.
(Crédits photo : Gilad Rom sous licence Creative Commons)