Petite histoire de l’économie sociale


le 29 août 2012 dans Associations, ESS - No comments

L’économie sociale peut sembler une idée neuve, mais elle résulte en fait d’un processus qui s’est mis en place dès le XIXème siècle : il faut s’imaginer que lors de l’Exposition universelle de 1900, un pavillon lui était exclusivement dédié. Les associations représentent le 1er acteur de l’économie sociale, qui regroupe aussi les coopératives, les mutuelles, et à sa marge les fondations et les fonds de dotation. L’économie sociale, ce n’est pas moins de 800 000 structures, 2 millions de salariés et 10% du PIB. Petit retour sur son histoire pour mieux comprendre ses enjeux actuels.

Un mouvement éclaté entre plusieurs formes juridiques

En 1886, Charles Gide, théoricien du mouvement coopératif, apporte sa pierre à la définition de l’économie sociale, terme apparu pour la première fois en 1851. Selon lui, « l’économie sociale se donne pour objet les rapports volontaires que les hommes forment entre eux en vue de s’assurer une vie plus facile, un lendemain plus certain et une justice plus bienveillante que celle qui porte pour emblème les balances du marchand »[1]. L’économie sociale se fonde ainsi sur une vision profondément volontariste de l’intérêt général : ce dernier ne résulte pas de la somme des intérêts particuliers mais des contrats que les individus passent entre eux.

Ces idées sont présentes dans les trois principes communs à toutes les structures de l’économie sociale : la gestion démocratique (une personne = une voix), la lucrativité limitée, et l’indivisibilité des réserves – ces deux dernières étant de plus en plus proches. Cependant, ces principes n’ont été institutionnalisés par l’Etat que petit à petit, secteur par secteur, activité par activité. Cette reconnaissance progressive a donc donné naissance à une diversité de formes juridiques : les associations, les coopératives et les mutuelles.

L’éclatement de l’économie sociale sous plusieurs formes juridiques s’explique en grande partie par la Révolution française de 1789, par son fameux rejeton de 1791, la loi Le Chapelier : cette loi restreint la liberté d’association de personnes. Ce n’est donc que très progressivement que l’association de personnes se gagne en France au cours du XIXème siècle : les sociétés de secours mutuel apparaissent en 1849 sans avoir de cadre réglementaire et c’est en 1884 que la loi Le Chapelier est enfin abrogée, entraînant la reconnaissance de la liberté syndicale. Ensuite, les coopératives sont reconnues famille par famille de 1894 à 1947 (coopératives non financières) ; les mutuelles gagnent un statut juridique en 1898 et les associations à but non lucratif en 1901.

Il faut même attendre la loi Rocard au début des années 1980 pour que le terme économie sociale fasse son entrée dans la loi. Malgré toutes ces péripéties, l’économie sociale a réussi à se constituer en mouvement. Car si elle est en surface une question de forme, elle est avant tout une question de principes partagés.

Un mouvement réuni autour de trois principes

Le premier principe est la gestion démocratique : dans l’économie sociale, un homme = une voix. Cette distribution du pouvoir surprend les habitués des LBO, du régime des sociétés mères et des prises de participation croisées, pour lesquels plus de parts sociales signifie plus de pouvoir. Créer une structure de l’économie sociale, c’est se soumettre au vote des sociétaires ou associés, sans avoir plus de poids qu’aucun d’entre eux. C’est accepter de laisser de côté la propriété pour s’en tenir à la paternité, de faire grandir une structure qui possède son libre arbitre. C’est faire confiance à la démocratie telle qu’exprimée par Gide dans l’idée de libre conscience et de libre contrat, et c’est avant tout faire confiance à chaque personne, physique ou morale, qui participe à son projet. 

Le deuxième principe de l’économie sociale, c’est que tout est à chacun, et rien n’est à personne. Les réserves sont indivisibles : le but est de constituer un capital qui grossira d’exercice en exercice et qui sera légué à la nouvelle génération. Nous retrouvons là le principe du développement durable : permettre aux prochains de se développer.

Le dernier principe est la non-lucrativité (ou plutôt lucrativité limitée) de la structure, principe lié d’une part à la conception volontariste de l’intérêt général – c’est-à-dire que chaque membre ne recherche pas son profit personnel – et d’autre part au but de construire un héritage pour le futur. Dans son application, ce principe a connu quelques variations depuis le XIXème siècle : au début, être non lucratif signifiait ne pas réaliser de profit. Puis, il a basculé vers le fait de réinvestir l’ensemble des bénéfices dans la structure. Enfin, il commence à être admis que la non-lucrativité peut se traduire par l’investissement quasi total des bénéfices dans la structure, le reste servant à rémunérer de manière raisonnable les capitaux engagés. Capitaux qui n’ont pas été investis avec le but de réaliser un profit puisque l’espérance du gain est inférieure à celle qui existe dans l’économie marchande.

Un siècle après sa naissance, l’économie sociale réaffirme ses principes : le Comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives et associatives (CNLAMCA) publie en effet en 1980 la Charte de l’économie sociale, où il définit les entreprises de son secteur comme des « entreprises différentes, car nées d’une volonté de solidarité au service de l’homme ». Et voici qu’économie sociale et économie solidaire ne sont plus très loin… Depuis les années 90, l’économie sociale est ainsi mariée avec l’économie solidaire ; elles forment ensemble l’économie sociale et solidaire (ESS).

Crédits photo : Le Champ de Coquelicots (à la manière de…), de Nicolas Gent, sous licence Creative Commons.


[1] Charles Gide, Principes d’économie politique, Paris Librairie du Recueil Sirey, 1931, 26e édition, 682 pp

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