L’utilité sociale et l’intérêt général sont deux notions aux histoires différentes : la première existe depuis quelques décennies tandis que la deuxième est instituée depuis le XVIIIème siècle. Pourtant, elles restent proches l’une de l’autre. Pourquoi la notion d’utilité sociale est-elle donc apparue ? Quels traits l’intérêt général ne pouvait-il porter ?
L’utilité sociale, l’intérêt général dont l’Etat n’est plus le seul garant
L’Etat prend traditionnellement en charge tous les besoins qui relèvent du bien-être de la société, et que l’initiative privée ne veut ou ne peut combler. Cependant, depuis le recul de l’Etat providence amorcé à la fin du XXème siècle, certains besoins se sont trouvés couverts ni par le marché, ni par l’Etat. Ce dernier a ainsi délégué une partie de ses fonctions, délégation qui s’est néanmoins souvent accompagnée d’un soutien de sa part au tiers secteur[1].
Les déductions fiscales accordées aux personnes qui effectuent un don à une association reconnue d’intérêt général en sont un exemple. Le nom de cette mesure fiscale – « reconnaissance d’intérêt général » – est le signe que l’Etat n’est non seulement plus le seul garant de l’intérêt général, mais accepte et pousse certaines initiatives privées à ses côtés qui y contribuent elles aussi.
L’Etat a ainsi peu à peu perdu son monopole sur l’intérêt général, mais cette notion est restée profondément attachée à la puissance publique. Il a donc fallu forger un nouveau terme pour englober aussi les initiatives privées qui participent à la construction de l’intérêt général : l’utilité sociale. Cette dernière pourrait donc être définie comme un intérêt général dont le garant n’est plus le seul Etat.
L’utilité sociale exige le dépassement des intérêts particuliers
Traditionnellement, l’Etat est le garant de l’intérêt général. C’est d’ailleurs selon le sociologue Matthieu Hély le principe fondant de la légitimité de l’Etat centralisé depuis le XVIIIe siècle, qui supplante celui du « bien commun », en réaction à ses connotations morales et religieuses. L’intérêt général fonde autant la finalité que la légitimité de l’action publique. Deux conceptions de l’intérêt général existent, ainsi que le rappelle le Conseil d’Etat :
L’une, d’inspiration utilitariste, ne voit dans l’intérêt commun que la somme des intérêts particuliers, laquelle se déduit spontanément de la recherche de leur utilité par les agents économiques. […] L’autre conception, d’essence volontariste, ne se satisfait pas d’une conjonction provisoire et aléatoire d’intérêts économiques, incapable à ses yeux de fonder durablement une société. L’intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts particuliers, est d’abord, dans cette perspective, l’expression de la volonté générale, ce qui confère à l’Etat la mission de poursuivre des fins qui s’imposent à l’ensemble des individus, par delà leurs intérêts particuliers. […] La tradition française […] s’inscrit, sans conteste, dans la filiation volontariste de l’intérêt général. »[2]
L’utilité sociale émerge de l’exercice de la démocratie
L’intérêt général émerge ainsi de l’exercice de la démocratie, de l’expression de la volonté générale. Il est issu de discussions qui, si elles ne débouchent pas sur un consensus, sont tranchées par le législateur, dépositaire de l’intérêt général. Le Conseil d’Etat insiste sur cette construction démocratique de l’intérêt général : « En premier lieu, il convient que le choix des fins considérées comme étant d’intérêt général puisse, en permanence, faire l’objet d’une discussion. »[3]
Ainsi, appliquer les règles de la démocratie au processus de décision des entreprises sociales est plus que pertinent : pourquoi un citoyen pourrait-il participer à la définition de l’intérêt général dans le cadre des institutions républicaines, mais non dans le cadre du projet social auquel il participe, en tant que salarié, bénévole ou bénéficiaire par exemple ? En quoi la finalité d’une entreprise relève de l’intérêt général si elle ne prend pas forme au travers de l’exercice de la démocratie ?
C’est le point commun entre utilité sociale et intérêt général : tous deux émergent de l’expression de leurs acteurs, et évoluent donc au fil des transformations de la société. C’est en cela que les entreprises sociales allient le pourquoi et le comment : le comment, ou le débat démocratique, permet de définir le pourquoi, ou l’utilité sociale.
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[1] Lester Salamon, Université Johns Hopkins Baltimore.
[2] Réflexions sur l’intérêt général – Rapport public 1999, Conseil d’Etat
[3] Réflexions sur l’intérêt général – Rapport public 1999, Conseil d’Etat
L’intérêt général ne peut se résumer à la conjonction provisoire d’intérêts économiques individuels. Il dépasse ces intérêts particuliers pour procéder de la volonté générale et résulte de la loi. Selon la tradition française, il est le but ultime de l’action de l’Etat.