Pendant des années, le secteur associatif américain remplissait une fonction essentielle pour l’économie en offrant une multitude de services sociaux qui n’étaient pris en charge ni par le secteur public, ni par le privé (ce qui justifie l’exemption fiscale dont bénéficient les associations). Bien que beaucoup d’associations rendaient des services primordiaux, elles concentraient leurs efforts sur l’accessibilité à ces services plus que sur leur efficacité (à savoir, produisaient-ils des résultats concrets se traduisant par la création d’une valeur sociale). La notion de mesurer la performance d’une organisation était jusqu’alors un concept exclusivement réservé aux entreprises. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Les bouleversements économiques et sociaux depuis les années 2000 ont non seulement eu un profond impact sur le monde des affaires mais également fait émerger de nouveaux enjeux pour les associations, notamment en matière de :
- Financement : le financement des associations est de plus en plus précaire. Aux Etats-Unis, un grand nombre de subventions publiques se trouvent éliminées et les fondations (principal moteur de financement du secteur associatif américain) exigent désormais des associations qu’elles démontrent que leurs services ont un réel impact social
- Technologies de l’information : les transactions économiques reposent sur des outils technologiques et réseaux de plus en plus complexes
- Communications : pour rester en avance sur la concurrence et faire passer leur message, les associations doivent désormais définir une solide stratégie de marque, qui se doit d’être diffusée de manière efficace
- Ressources humaines : les salariés des associations doivent non seulement démontrer une passion et un dévouement pour la cause de l’association mais ils doivent également posséder des compétences de plus en plus aiguës et s’adapter à des circonstances de travail précaires au quotidien
Afin de relever ces nouveaux défis, les associations doivent se sophistiquer, notamment pour démontrer leur efficacité sociale à leurs donateurs. Les financeurs exigeant un retour sur leur investissement, il n’est pas étonnant que les associations développent des outils d’évaluation d’une complexité croissante, et que leur méthodes de gestion se rapprochent de celles du secteur privé (pour un article sur ce phénomène: “The End of Charity: How to Fix the Nonprofit Sector Through Effective Social Investing” by David E. K. Hunter, Philadelphia Social Innovations Journal, octobre 2009)
Répondant à ces enjeux, un certain nombre d’acteurs ont décidé d’offrir au milieu associatif des services de consulting pro bono (bénévolat de compétences). Certains, inspirés du modèle de cabinets de consulting, proposent des projets de longue haleine et de nature stratégique (Taproot Foundation, HandsOn Network, designNYC), d’autres offrent des projets plus courts et plus tactiques (Catchafire, Sparked).
Leurs ressources financières et humaines étant déjà limitées, les associations se sont jetées sur ces opportunités de consulting pro bono dont les prestations sont offertes par des bénévoles professionnels aux compétences pointues. Ils réalisent des projets souvent complexes que la plupart des associations ne seraient pas en mesure de s’offrir ou n’ont pas les compétences internes pour le faire.
A ce jour, la demande pour le consulting pro bono continue de grimper. Les domaines d’expertise les plus courtisés, et donc les plus couramment disponibles sont : le marketing, la gestion de marque et la communication ; les ressources humaines et le développement de talent ; le développement de capacité; le management stratégique ; et bien sûr les technologies de communication et de l’information.
Dix ans après, le consulting pro bono tient-il sa promesse de renforcer effectivement l’impact social des associations ?
D’une manière générale, les résultats sont encourageants. Ayant mené de nombreuses missions de consulting pro bono auprès d’associations à New York, j’ai demandé à certains dirigeants associatifs avec qui j’avais collaboré de me donner leurs impressions sur la valeur sociale des projets pro bono. Voici quelques exemples :
- Les équipes de bénévoles pro bono ont fait preuve d’une discipline et d’une rigueur de réflexion que nous n’aurions jamais pu soutenir vu le nombre d’urgences ;
- Donne aux dirigeants un savoir fonctionnel et une formation professionnelle dans des domaines de compétences qui ne leur sont pas familiers (comme le marketing ou la gestion de marque) ;
- Beaucoup font état de résultats tangibles et relativement immédiats après le lancement d’un nouveau site web avec une augmentation du nombre de visites et d’appels téléphoniques pour leurs services ;
- Une meilleure compréhension de leur environnement concurrentiel et de leurs bénéficiaires leur permet de découvrir des opportunités de financement ou de nouvelles collaborations ;
- Embaucher des salariés ainsi que des bénévoles plus compétents ;
- Apprendre aux associations une méthodologie pour développer une stratégie de croissance sur 3 à 5 ans (préparation au planning stratégique).
Le consulting pro bono contribue donc à renforcer la structure des associations, les aide à réfléchir de manière plus stratégique sur l’avenir et leur environnement ainsi qu’à utiliser leurs ressources de manière plus judicieuse. L’expertise pro bono permet aux associations de devenir des acteurs plus performants et de réaliser leur mission plus efficacement.
Certes, le secteur associatif français diffère du modèle américain sur plusieurs points (cf. article de Dominique Thierry). Il n’en demeure pas moins que la plupart des enjeux auxquels font face les associations en France sont similaires à ceux présents aux Etats-Unis. L’opportunité est grande et pressante car beaucoup d’associations offrent des services essentiels dont la valeur serait fortifiée si l’on s’assurait qu’elles disposent des outils et de l’expertise nécessaires pour les délivrer efficacement.
A condition qu’il soit judicieusement déployé, et tienne compte des spécificités juridiques, économiques, sociales et culturelles nationales, le consulting pro bono promet un impact social démultiplié en impliquant différents acteurs dans le renforcement du tissu associatif.
Eric Longo est consultant indépendant à New York. Il est également directeur de projets pro bono au sein de la Taproot Foundation depuis 2007.
Email: eric@ericlongo.com.
Twitter: @ericlongo