Vers une intelligence artificielle non lucrative ?

Le développement accéléré de l’intelligence artificielle remet en question de nombreux aspects du fonctionnement des sociétés humaines. Il interroge l’avenir du travail, de la prise de décision, et le champ d’application des compétences humaines. C’est une opportunité pour l’homme d’appuyer et de compléter ses réflexions et ses actions par des outils puissants, mais c’est aussi un risque d’entrer dans une compétition avec la machine que certains auteurs et économistes prédisent perdue d’avance. Comment rester optimistes face à des technologies du futur qui semblent pouvoir nous dépasser ?

Invités à participer à l’émission A But Non Lucratif sur BFM Business par Didier Meillerand, Pro Bono Lab a proposé une chronique nomme « Global Signal », pour mettre en valeur des innovations non-lucratives venues de l’étranger. Dans ce cadre, la première émission dont vous trouverez ici le podcast revenait sur ce sujet de l’intelligence artificielle, en présentant une approche open-source et non-lucrative pour que celle-ci puisse contribuer positivement à notre avenir collectif. 

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Voici la retranscription, et vous pouvez retrouver toutes les informations sur le compte twitter de l’émission @abutnonlucratif :

Didier Meillerand : J’accueille Antoine Colonna d’Istria, co-fondateur de  Pro Bono Lab, un laboratoire du bénévolat et du mécénat de compétences. Antoine nous présente la rubrique « Global signal », qui a pour but de partager des innovations venues des secteurs non-lucratifs à l’étranger, afin d’inspirer des actions en France. Alors Antoine,  quel est le sujet aujourd’hui ?

Antoine Colonna d’Istria : Aujourd’hui nous allons parler d’intelligence artificielle, ou IA. C’est un sujet qui fait depuis quelques années l’objet de bien des fantasmes, et une technologie qui d’après certains pourrait être plus dangereuse pour l’avenir de l’humanité que la bombe atomique. En effet, que se passe-t-il si une intelligence basée sur des lignes de codes, totalement décentralisée, se met à réfléchir plus vite que l’homme lui-même, et à pouvoir se reprogrammer à l’infini pour atteindre ses propres objectifs, et pour les redéfinir ? Concrètement, on entre dans la matrice, et on peut craindre un joug de la machine sur la liberté humaine…  Ces deux dernières années,  Google et Facebook ont lourdement investi dans l’IA, on suppose principalement avec une finalité marketing, de prédiction et d’adaptation au comportement des consommateurs. Cette accélération est liée à de grandes avancées de ce qu’on appelle le « deep learning », en résumé la capacité des machines à apprendre et à traiter des données diverses avec un même cadre conceptuel, qui devrait faire décoller la reconnaissance visuelle ou vocale par exemple.

D.M : Vous nous annoncez que les machines vont prendre le pouvoir ?

Face aux risques que présente l’IA, se dresse notamment un homme, Elon Musk, CEO de Tesla. Après avoir investi dans 37 projets de recherche ayant pour but de limiter les dangers de l’IA en 2015, il s’est associé à Sam Altman du Y Combinator pour lancer en décembre Open Ai, un institut non-lucratif de recherche open-source sur l’IA, qui a déjà récolté un milliard de dollar auprès de grandes figures du web telles que Reid Hoffman, CEO de linkedin, ou l’investisseur Peter Thiel.

D. M. : Donc, OpenAi, un institut non-lucratif de recherche open-source sur l’intelligence artificielle, d’accord… Mais concrètement, en quoi cela change quelque chose que ce projet soit non-lucratif ? Et open source ?

Leur idée de départ est que pour contrer les dangers de l’intelligence artificielle, nous devons éviter que celle-ci ne se transforme en monopole, surtout s’il est contrôlé par un intérêt privé lucratif. D’abord, nous avons peut être intérêt à ce qu’il y ait plusieurs intelligences artificielles diverses qui, pour ainsi dire, se « neutraliseraient », du moins se réguleraient en partie. Au-delà, l’intérêt public, c’est que l’ensemble des acteurs économiques puissent avoir accès aux technologies liées à l’IA. L’idée est simple : l’IA est un outil, une arme surpuissante, qui va éclore au cours de ce siècle ; mais elle ne profitera à l’intérêt général que si le plus grand nombre d’acteurs est en capacité de l’utiliser et de l’adapter à ses besoins.  C’est ici que la création d’un organisme de recherche non-lucratif, et qui open-source ses avancées paraît intéressante. Les chercheurs n’étant pas soumis a une obligation de retour financier peuvent en principe mieux se concentrer sur l’impact humain de leurs recherches, et ils sont incités à donner accès à tous leurs travaux. La technologie serait alors accessible à tous et bénéficierait à toutes les entreprises.  C’est aussi une structure qui n’est pas contrôlée par des actionnaires, ce qui garantit aux financeurs qui la rejoignent que leurs fonds seront réinvestis dans le projet.

D. M. : Vous essayez de nous dire que dans le cas présent, cette approche non-lucrative et open source garantit plus d’intérêt général, mais aussi plus de partage du projet, et un financement facilité ?

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En tout cas, c’est l’idée ! La force, c’est la combinaison entre ces deux principes qui ne sont pas toujours associées : le non-lucratif, qui donne de la confiance sur la gestion de la valeur générée par le projet, qui est intégralement réinvestie ; et l’open-source, qui ancre la participation et la transparence dans le mode opératoire. Evidemment, entre le concept et la réalité, on sait qu’il y a parfois un pas, et d’ailleurs les créateurs d’OpenAi répètent que l’avenir est incertain concernant l’évolution de l’intelligence artificielle; on ne sait pas si et quand elle atteindra le niveau d’intelligence humaine, ni si cela serait bénéfique ou maléfique. Ce qui est intéressant, c’est le succès des initiatives non-profit et open source lorsqu’il s’agit de créer les composantes de la compétence (savoirs, savoir-être, savoir faire). L’exemple mythique est Wikipedia, la plus grande encyclopédie des savoirs, qui sera sûrement exploitée par de nombreuses intelligences artificielles dans l’avenir. On peut raisonnablement penser que le succès de Wikipedia tient beaucoup à cette double approche non-lucrative et open source. D’ailleurs, Wikipedia a un quasi-monopole aujourd’hui, mais personne ne se plaint d’un quelconque abus de position dominante, car cette initiative profite à tous.  Cela ne signifie pas qu’il faille donner un blanc-seing à OpenAi, des actes et des résultats sont attendus, mais on peut saluer cette initiative positive.

D. M. : Un mot pour conclure ?

Demain s’écrit dans les signaux d’aujourd’hui, et le monde non-lucratif est plein de signaux positifs, restons à l’écoute !  

 

 

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