La semaine dernière, nous proposions deux typologies des modèles de financement des associations : la première a été réalisée par des consultants du cabinet Bridgespan, aux Etats-Unis, la seconde par un groupe de travail mené par le Mouvement associatif, en France [1]. Quelles similitudes et différences peut-on remarquer entre ces deux typologies, et comment les expliquer ?
L’importance des subventions publiques, dénominateur commun de nombreux modèles de financement
On remarque d’emblée des différences significatives entre les deux typologies, mais également un élément commun : le rôle de l’Etat dans la délégation des services d’intérêt général aux associations est essentiel pour comprendre ces typologies, et pourquoi certains modèles sont en développement alors que d’autres sont en crise.
En France, le recours aux subventions publiques pour financer les causes d’intérêt général détermine la quasi-totalité des modèles économiques détaillés dans la typologie du Mouvement associatif : certains modèles reposent sur les subventions publiques (modèle 3, « L’association opératrice de politique publique », ou modèle 4, « Subventions publiques ») ; d’autres cherchent à réduire, voire éviter toute dépendance à ce type de financement (modèle 2 « Prestation et valorisation de savoir-faire », modèle 5, « Le cofinancement », modèle 6, « Mobilisation privée » et modèle 7, « Modèle mutualisé »). Parce que les subventions publiques sont en baisse depuis 2010, les premiers (en particulier le modèle 4) sont des modèles fragiles ; quant aux seconds, ce sont des modèles en émergence qui cherchent à identifier de nouvelles sources de financement.
La typologie américaine montre que les sources de financement publiques ne sont pas prépondérantes : elle présente des modèles économiques qui reposent sur des financements variés. Certains modèles s’appuient tout de même sur des financements publics, mais la situation est différente : les « non-profits » ont plutôt une qualité de prestataire. D’ailleurs, ces organisations peuvent être des hôpitaux ou des universités (modèle 2, « le recours aux bénéficiaires ») comme des opérateurs de logement (modèle 7, « l’intermédiaire Etat-bénéficiaires »). Dans ces modèles, le gouvernement américain établit des contrats avec certaines associations, au sein de ce qui pourrait s’apparenter à des délégations de services publics ou à des commandes publiques en France.
Aux Etats-Unis, une conception de la charité qui imprègne le secteur non-lucratif
Il faut rappeler qu’aux Etats-Unis, le fonctionnement du secteur non-lucratif repose sur une conception de la charité où l’intervention de l’Etat est en concurrence avec les dons des citoyens et de philanthropes millionnaires.
A ce titre, on peut noter que le modèle 4 de la typologie de Bridgespan n’est quasiment pas présent en France : aucune association ou presque ne se fait financer par une ou plusieurs grandes fortunes. De même, les associations françaises font peu appel à leurs bénéficiaires (modèle 2 dans la typologie américaine), en partie parce que les hôpitaux et les universités ne sont pas des associations en France.
Un article de Benoît Bréville paru dans Le Monde diplomatique en décembre 2014 et intitulé « La charité contre l’Etat » explique comment la philanthropie s’est développée aux Etats-Unis [2] : « Aux Etats-Unis, l’Etat n’est […] considéré ni comme l’unique dépositaire de l’intérêt général, ni comme le levier le plus efficace pour combattre les problèmes sociaux ». Le gouvernement américain, afin de réduire ses dépenses, se place dans une stratégie de sous-traitance des services sociaux à des associations, tout en encourageant la charité privée. Il s’appuie pour cela sur une philanthropie historique : les grandes fondations américaines (la fondation Rockefeller par exemple) sont apparues au début du XXème siècle et sont venues compléter une charité privée, locale et fortement religieuse. Cette charité chrétienne « s’accompagne d’une certaine méfiance envers l’Etat, perçu comme un concurrent dans l’aide aux pauvres ». Les présidents Reagan, puis Bush ont engagé dans les années 80 le mouvement de délégation des services publics à des associations : « Contrairement à l’image que ses promoteurs se plaisent à donner de lui, le secteur associatif n’est donc pas seulement le fruit de l’engagement spontané des citoyens. Il est également le produit d’une stratégie concertée des gouvernements successifs pour se désengager des services sociaux à moindres frais.» Les organismes à but non-lucratif qui se sont multipliés depuis les années 80 fonctionnent en effet grâce à la contribution de milliers de bénévoles.
Vers de nouveaux modèles de financement pour les associations en France ?
Doit-on en conclure qu’en France, le retrait de l’Etat va mener à une évolution vers un paysage associatif similaire à ce qui est visible aux Etats-Unis ? De nouveaux modèles vont-ils apparaître et remplacer ceux qui reposent sur des subventions publiques ?
Les modèles faisant appel au mécénat d’entreprises, par exemple, se développent en France (modèle 5, « Le cofinancement » et modèle 6, « Mobilisation privée »). Cependant, les fondations d’entreprises en France sont moins dotées qu’aux Etats-Unis : il est donc difficile d’envisager un modèle correspondant au modèle 4 dans la typologie américaine, où une seule ou quelques fondations peuvent fournir les financements nécessaires aux projets des organisations. En outre, de nouveaux modèles apparaissent en France. Le modèle économique de Pro Bono Lab correspond en grande partie au modèle 9 de la typologie de Bridgespan : Pro Bono Lab réalise des missions de conseil pro bono pour des associations ; ces missions ne sont pas facturées aux associations, mais à d’autres acteurs (notamment les entreprises qui participent à ces missions dans le cadre de programmes de mécénat de compétences).
Enfin, il existe des modèles en France qui reposent sur des financements publics et qui sont stables ou se développent (modèle 3, « L’association opératrice de politique publique » notamment). On peut noter qu’ils se rapprochent d’une conception plus « américaine » de l’utilisation de l’argent public pour l’intérêt général : l’externalisation des politiques publiques, et le développement des commandes publiques (au détriment des subventions publiques). Néanmoins, cette évolution pose problème, puisque les associations sont de plus en plus en concurrence les unes avec les autres, qu’elles sont moins libres dans le choix de leurs projets et que peu d’entre elles ont les capacités d’assumer la charge d’une politique publique, comme la Croix-Rouge qui est l’exemple cité dans le modèle 3.
Brigitte Giraud, vice-présidente du Mouvement Associatif, rappelle dans la préface de la typologie que le rôle des associations est fondamental pour proposer des solutions face à la crise profonde que notre société traverse : il est donc très important pour les associations de bien choisir leur modèle de financement, afin d’être efficace tout d’abord, mais aussi de se faire une place dans le paysage associatif, et de donner ainsi confiance aux financeurs. A fortiori, c’est même un gage de longévité.
Plusieurs pistes sont à explorer pour faire ce choix. La typologie du Mouvement associatif constate que les modèles basés sur les subventions publiques sont en crise. Par conséquent, les associations françaises pourraient se tourner vers d’autres sources de financement. Cela n’est pas sans limites : les partenariats avec des entreprises ou le système des commandes publiques peuvent remettre en cause la liberté des associations de choisir leurs projets, le financement par les membres n’est pas viable pour toutes, et certains modèles, comme le modèle 7, « Modèle mutualisé », sont encore peu développés et tardent à faire leurs preuves.
Ce qui existe aux Etats-Unis n’est pas forcément applicable en France : d’abord parce que le développement de la philanthropie aux Etats-Unis a été si particulier, et parce qu’il existe des limites à ce modèle d’une solidarité locale, en-dehors de l’Etat : ce sont souvent les plus riches qui font des dons pour leurs écoles, leurs universités, leurs églises… Et ce ne sont donc pas les publics les plus nécessiteux qui bénéficient de la solidarité. La notion d’intérêt général est diluée. On peut donc se demander dans quelle mesure le retrait de l’Etat est souhaitable en France.
Au vu de tous ces enjeux, chaque association peut donc choisir le modèle économique qui correspond le mieux à son projet associatif, à ses valeurs et à celles de ses bénévoles.
[1]Pour retrouver les typologies dans leur intégralité et dans leur version originale :
William Landes Foster, Peter Kim et Barbara Christiansen, « Ten Nonprofit Funding Models », Stanford Social Innovation Review, printemps 2009 (http://www.ssireview.org/articles/entry/ten_nonprofit_funding_models)
Le Mouvement Associatif, Contribution à l’analyse des modèles socio-économiques associatifs – Typologie des modèles de ressources financières, janvier 2014 (avec la FONDA, le Rameau, France Bénévolat, Passerelles et Compétences, France Générosités, France Active, le Réseau National des Maisons d’Associations, l’Adéma et le Comité de la Charte) (http://www.avise.org/sites/default/files/atoms/files/201401_cpca_contributionanalysemodelessocioecoasso.pdf)
[2] Benoît Bréville, « La charité contre l’Etat », Le Monde diplomatique, décembre 2014 (http://www.associations-citoyennes.net/wp-content/uploads/2015/01/2-08-la-charit%C3%A9-contre-%C3%A9tat-B-Belleville.pdf)
Tatiana Heinz, chargée de recherche et des partenariats chez Pro Bono Lab