Chaque année, une grande conférence aux Etats-Unis permet de mettre en avant les bénévoles et tout ceux qui s’engagent dans une démarche de service des autres. Cette conférence organisée par Points of Light est appelée depuis 2013 « Service Unites » ou encore par son nom complet la « Conference on Volunteering and Service ». Cette année, elle avait lieu à Detroit à la fin du mois de juin.
Invités à participer à l’émission A But Non Lucratif sur BFM Business par Didier Meillerand, Pro Bono Lab a proposé une chronique nommée “Global Signal”, pour mettre en valeur des innovations non-lucratives venues de l’étranger. La dernière émission de cette saison a été diffusée dimanche 26 juin : vous trouverez ici le podcast de l’émission.
Voici la retranscription de l’échange, et toutes les infos sur le compte twitter de l’émission @abutnonlucratif :
Didier Meillerand : J’accueille Antoine Colonna d’Istria de Pro Bono Lab, le laboratoire d’innovation citoyenne spécialisé en bénévolat et en mécénat de compétences. Il nous présente la rubrique « Global signal », qui a pour but de partager des innovations venues des secteurs non-lucratifs à l’étranger, afin d’inspirer des actions en France. Aujourd’hui, vous allez nous présenter une Conférence qui vous inspire outre-Atlantique, aux Etats-Unis. De quoi s’agit-il ?
Antoine : Cet événement c’est la Conference on Volunteering and Service organisée par l’organisation américaine Points of Light. C’est le plus grand rassemblement mondial sur la thématique du bénévolat et du volontariat au service des autres. Chaque année, environ 3000 personnes qui construisent l’avenir de l’engagement solidaire et citoyen s’y rencontrent. On y croise des responsables associatifs en charge de l’animation de réseaux de bénévoles par exemple, ou encore des dirigeants d’entreprises, de fondations, mais aussi d’institutions gouvernementales. L’évènement n’est pas innovant en soi, c’est presque une institution depuis plus de 10 ans; en revanche c’est l’occasion de rencontrer de nombreux innovateurs. Cette année, du 27 au 30 juin j’y participe pour la 3ème fois. C’est à cette conférence en 2011 que j’ai entendu parler pour la 1ère fois de systèmes mutualisés pour l’évaluation de l’impact social ; ou encore de programmes de bénévolat pour les jeunes enfants afin de les faire progresser collectivement à l’école.
D. M : On se rassemble donc pour échanger des idées sur le bénévolat, et sur l’engagement, c’est bien, mais au-delà de ça, quel est l’intérêt de cet évènement ?
La Conference on Volunteering and Service me paraît intéressante pour au moins deux raisons. D’abord en terme d’impact : on sous-estime probablement l’importance des évènements de mise en lien des acteurs. Un article récemment paru dans la Stanford Social Innovation Review expliquait que les « convenings » ou rassemblements ont un immense pouvoir d’impact social. C’est très simple quand on le dit, mais le fait de rassembler des gens dans un environnement qui encourage et qui facilite l’échange d’idées est l’une des stratégies de communication les plus puissantes pour la conduite du changement. Cela peut faire bouger rapidement tout un écosystème. Comme dit le proverbe africain : « seul on va vite, mais ensemble on va plus loin ». La bonne rencontre nous ouvre des portes et nous évite des ornières. Pourtant, en Europe les réseaux et les fédérations associatives qui créent des liens entre acteurs ont souvent du mal à faire financer leurs activités.
D.M : La conférence crée des liens, et ces liens permettent de créer de la valeur sociale et économique, d’accord. Qu’y a-t-il d’autre à retenir ?
Ce qui est original, c’est que la Conférence évolue chaque année, en changeant d’organisation et de ville d’accueil. L’an dernier en 2015, l’édition de Chicago avait mobilisé près de 4000 personnes. Cette année cela se passe à Détroit, une ville qui a connu un désastre économique avec le recul de l’industrie automobile, ce qui a abouti à mettre la ville en faillite en 2013. En 2011 c’était à la Nouvelle-Orléans, 6 ans après le passage de Katrina. Les lieux et les intervenants sont soigneusement choisis pour illustrer la manière dont le « service des autres » via le bénévolat et la vie associative sont au cœur des enjeux de la société. A ma connaissance, il n’existe pas vraiment d’équivalent en France. Nous avons bien des évènements comme le Forum National des Associations et des Fondations, le salon Produrable, ou bien le Salon des Solidarités… Mais rien qui ne ressemble vraiment à cette conférence spécialisée sur le bénévolat et le volontariat, avec son organisation gigantesque et pourtant nomade, et en prise aux enjeux d’actualité chaque année.
D. M. : Pourquoi à votre avis nous n’avons pas en France de conférence de ce style ?
Il y a des différences fortes en matière de pratique de l’engagement pour l’intérêt général ou le service d’autrui aux Etats-Unis et en France ; toutes les innovations qu’on voit là bas ne soit pas transposables telles quelles, elles doivent être adaptées au contexte et aux besoins locaux. Entre la France et les Etats-Unis, il y a une différence économique évidente liée à la taille et à la maturité du marché. Lorsqu’un américain développe une solution, il a directement accès à un marché de 300 millions de personnes avec des habitudes relativement homogènes, et surtout ouvertes à la nouveauté. En France, on touche 50 millions de personnes, et les porteurs de changements font souvent face à des contraintes légales et des réticences importantes de la part des acteurs établis.
D.M : Mis à part la taille, quelles sont les autres différences ?
Il y a une différence culturelle et politique du rapport à l’engagement. En France, on compte beaucoup plus sur l’Etat pour mettre en oeuvre l’intérêt général ; aux Etats-Unis, l’Etat est surtout le garant de l’intérêt fédéral, mais les citoyens s’estiment tous responsables à titre individuel du bien de leur communauté ; et lorsqu’ils pensent à la communauté nationale, ils ne font pas une différence marquée comme ici entre le bien de la communauté et le Bien Commun, le social good, etc. De la même manière qu’ils ne font pas de différence entre bénévolat et volontariat, on pourrait dire qu’il y a une certaine forme de pragmatisme qui s’attache moins aux cadres.
Il ne s’agit pas de juger dans l’absolu ces différences entre les pays. Comme toutes différences, selon la manière dont on les valorise, elles peuvent être des forces, ou bien des faiblesses. A mon sens elles sont une vraie richesse pour imaginer des choses nouvelles. Nous n’avons pas les mêmes besoins en France qu’aux Etats-Unis, et sur certains points nous réussissons mieux qu’eux. En ce qui concerne le bénévolat, il a baissé aux Etats-Unis ces dernières années, et cela surtout parce que les formes de l’engagement se sont très largement transformées, alors qu’ici, le bénévolat associatif a plutôt augmenté en France comme le montrent les derniers chiffres de Recherches et Solidarités. Cependant, l’évolution des formes d’engagement que connaissent les américains a lieu ici aussi, avec le crowdfunding, le crowdtiming, les nouvelles formes de mécénat et de philanthropie en entreprise notamment ; donc on peut essayer observer l’expérience américaine pour apprendre de leurs succès et éviter de refaire leurs erreurs.
D. Meillerand : C’est tout ce qu’on souhaite à ceux qui innovent pour l’intérêt général !