Qu’entend-on par professionnalisation des associations ? Cette expression ne coule pas de source lorsque l’on sait que les associations représentent 5% de l’emploi en France, deux millions d’ETP (Equivalents Temps-Plein) dont la moitié de salariés, et qu’elles répondent à des besoins auxquels l’Etat et les entreprises n’ont pas su, n’ont pas pu ou n’ont pas voulu répondre. Elles s’inscrivent ainsi dans une logique de réparation des externalités négatives de notre économie et de complémentarité – voire parfois de substitution – des politiques publiques. Pour mieux comprendre ces enjeux, il faut probablement rappeler que :
- Les bénévoles sont au cœur de l’identité associative : c’est la volonté s’unir bénévolement autour d’un projet pour « faire société » qui caractérise le projet associatif. C’est d’ailleurs pourquoi les membres d’une association sont dénommés juridiquement les sociétaires.[1]
- Les associations employeuses ne représentent que 14% des associations. Parfois appelées « entreprises associatives », les associations constituées essentiellement de salariés, notamment dans le secteur sanitaire et social, ont des enjeux bien différents des « associations de bénévoles ».
- Le secteur associatif fait face à des mutations sans précédent qui justifie la nécessité de sa professionnalisation : pression sur la performance, réduction des moyens notamment publics (donc contraintes budgétaires), augmentation de la demande sociale, complexification des cadres réglementaires, évolution du profil des bénévoles, etc.
On comprend d’ores-et-déjà comment le terme « professionnalisation » a pu faire ressurgir une opposition malvenue et dénoncée par France Bénévolat entre la « logique du cœur » des bénévoles, considérés comme de bienveillants amateurs dont la « bonne volonté » est au cœur du projet associatif, et la « logique de compétences» des professionnels qualifiés et salariés des structures. Certains ont alors vu dans la tendance à la professionnalisation la perversion du secteur associatif par des pressions extérieures telles que celles de l’Etat (priorité à l’emploi, délégation de services publics, monopole de l’intérêt général, etc.) et de l’entreprise (principe d’efficacité, rigueur de gestion, recul du militantisme, etc).
Professionnalisation ou développement du salariat associatif ?
Matthieu Hély décrit également le passage d’une « logique de subvention » par laquelle les pouvoirs publics soutiennent une initiative privée sans exigence de contrepartie, à une logique de « commande publique » qui transforme l’association en un opérateur de politiques publiques. Enfin, les pouvoirs publics soutiennent également fortement l’emploi associatif grâce à des dispositifs de contrats aidés largement utilisés par les associations.
Comme l’observe le sociologue Matthieu Hély, « la professionnalisation du monde associatif est d’abord une salarisation ». Le nombre de salariés a été multiplié par trois depuis le début des années 1980. Depuis le milieu des années 1990, il se crée chaque année deux fois plus d’emplois dans le secteur associatif que dans la fonction publique.
Cette augmentation du nombre de salariés dans les associations répond à l’augmentation et à la complexification des besoins de la population et aux besoins du développement de l’activité du secteur (2,5% de croissance annuelle en moyenne sur les dix dernières années, soit plus que la croissance du PIB). Pascal Ughetto et Marie-Christine Combes résument assez justement : « la professionnalisation est cette organisation mise en face des problèmes productifs qui s’accroissent, en quantité et en complexité, quand les volumes atteignent des niveaux importants, que les promesses sur la qualité augmentent les exigences, et que cela conduit à s’interroger sur un « amateurisme » qui, jusqu’alors, n’apparaissait pas comme une difficulté. »
Cette salarisation est également tirée par les logiques publiques. La dynamique de décentralisation fait jouer un bien plus grand rôle aux collectivités. Or celles-ci travaillent en lien étroit avec le tissu associatif sur les territoires.
Qu’appelle-t-on la professionnalisation du bénévolat ?
La professionnalisation du bénévolat fait référence à deux phénomènes interdépendants.
D’une part, on observe le développement de pratiques de gestion des ressources humaines bénévoles inspirées du monde de l’entreprise et plus ou moins habillement adaptées aux spécificités du bénévolat du secteur associatif : entretiens de « recrutement », accueil, formation, méthodes de « management », etc. Dans l’article « Le bénévolat, miroir du travail », Pascal UGHETTO résume les travaux de Maud Simonet. « Loin de s’opposer à l’emploi, le bénévolat lui a progressivement emprunté des logiques organisationnelles et des techniques managériales. […] On assiste également à l’essor de réflexions sur le management des bénévoles empruntant aux thèses RH de l’entreprise, réflexions que les associations impulsent parfois d’elles-mêmes. »
D’autre part et c’est, en quelque sorte, la résultante du développement de la GRH bénévole, on constate une tendance des associations à rechercher de plus en plus fréquemment des bénévoles dotés de compétences professionnelles (en comptabilité, en droit, en communication, etc.) et non plus seulement des bénévoles qui disposent de compétences personnelles (autonomie, dynamisme, etc.) et interpersonnelles (écoute, travail en équipe, etc.). Cependant, la professionnalisation du bénévolat ne peut être uniquement le fait des associations, mais implique bien une volonté partagée par les bénévoles et les volontaires d’utiliser leurs compétences dans le cadre de leur engagement. Dominique Thierry, Vice Président de France Bénévolat, met en garde les associations à cet égard : « le nécessaire développement des compétences, surtout quand il est tenu au sein d’un discours maladroit, voire de pratiques inacceptables de la part des associations, qui assimilent les bénévoles à des « salariés non payés », est entendu par les bénévoles comme une exigence trop élevée. »
Encore une fois, distinguons a minima deux grandes familles de bénévoles au sein desquelles les enjeux de la professionnalisation sont sensiblement différents. D’un côté, la professionnalisation des « bénévoles de terrain », c’est-à-dire ceux qui réalisent les activités auprès des bénéficiaires de l’association au quotidien, s’est opérée très largement, notamment dans le secteur social, grâce à la mise en place de formations, souvent obligatoires, pour répondre aux besoins de l’activité et à l’intensification de la réglementation. De l’autre côté, la professionnalisation des « bénévoles élus », c’est-à-dire des dirigeants associatifs et particulièrement des président(e)s et trésorier(e)s, est un enjeu central, cheval de bataille de l’Association pour le Développement du Management Associatif (ADEMA). Ces bénévoles doivent en effet disposer de compétences politiques, juridiques, comptables, etc. pour assumer les responsabilités de la gouvernance associative. Cette professionnalisation a tendance à « faire peur » : elle diminue l’attractivité des fonctions dirigeantes et accentue le problème du renouvellement des conseils d’administrations.
Finalement, la professionnalisation des associations est un mot-valise qu’il convient d’expliciter pour éviter les malentendus. La tendance à la salarisation des associations, qui d’ailleurs a connu un coup d’arrêt en 2012 avec la crise, est à distinguer clairement du mouvement de professionnalisation des bénévoles auquel nous consacrerons un article le mois prochain.
Sources :
- Sibille Hugues, Turbulences sur les emplois dans les associations, Alternatives Economiques, 2011, http://alternatives-economiques.fr/blogs/sibille/2011/11/08/turbulences-sur-les-emplois-dans-les-associations/
- Thierry Dominique, Les bénévoles et l’association, Associations Mode d’Emploi, 2011
- Ughetto Pascal, Le bénévolat, miroir du travail, La Vie des Idées, 28 novembre 2011. http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20111128_recension-maud-simonet.pdf
- Ughetto Pascal et Combes Marie-Christine, Entre les valeurs associatives et la professionnalisation : le travail, un chaînon manquant ? Socio-Logos, n° 5 – 2010 : Varia http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20111125_quelle-professionnalisation-associations.pdf
[1] Les bénévoles ne sont pas toujours membres de l’association.