Afin d’étudier le développement international du pro bono, j’ai passé un mois en Chine entre le 9 septembre et le 5 octobre, dans le cadre d’un partenariat entre Pro Bono Lab et Huizeren, le centre de volontariat de Pékin. Cette expérience m’a permis de réfléchir à ce que le pro bono peut apporter à nos sociétés, si différentes soient-elles parfois. En effet, si j’ai constaté un enthousiasme exceptionnel autour du concept de pro bono parmi nos homologues chinois, j’ai aussi été confronté à une réalité bien différente de celle que nous connaissons dans l’Hexagone.
En ce qui concerne les spécificités du pro bono chinois, je les ai abordées dans un autre article – Pro in China: bienvenue chez Huizeren à Beijing ! – je souhaitais donc vous faire part cette fois ci des points communs dans nos approches. J’ai en effet décelé plusieurs similarités dans les enjeux que nous essayons de remporter en tant qu’acteurs du pro bono, mais aussi dans les défis que nous rencontrons. Ces points communs sont une base utile pour justifier et orienter les efforts liés à la mise en place d’un réseau international du pro bono, ce à quoi nous travaillons depuis déjà plusieurs années et qui est visible aujourd’hui notamment à travers la Pro Bono Week.
Le pro bono, un enjeu d’innovation sociale pour des valeurs partagées
En Chine comme en France, le pro bono est encore au stade de l’expérimentation. Cette innovation qui consiste à mobiliser les compétences des volontaires et des entreprises pour servir des organisations à buts sociaux, est en recherche des différentes expressions qu’elle peut prendre et des modèles d’intervention les plus efficaces en fonction des situations et des territoires. Cependant le but du pro bono, ou l’idée de départ, est déjà relativement clair quelque soit le pays : il s’agit de faire en sorte que le pro bono crée de la valeur partagée entre les différents acteurs impliqués (volontaires, bénéficiaires, partenaires, etc.) , afin de servir la société dans son ensemble. Pour servir les organisations bénéficiaires, les intermédiaires du pro bono sont engagés dans une logique de « capacity building » – ce terme utilisé constamment aux Etats-Unis l’est aussi en Chine par Huizeren. Cela signifie qu’ils cherchent à développer la capacité des organisations bénéficiaires à réaliser les missions qui leurs sont propres, et à accomplir leur projet associatif. En apportant un regard extérieur, les volontaires pro bono aident les associations et leurs responsables à s’orienter, à se projeter, et parfois à se professionnaliser, en leur donnant accès à des compétences pour lesquelles elles ne peuvent pas payer. En ce sens, le pro bono vise à renforcer des « corps intermédiaires », généralement les associations et ONG, qui assurent le lien entre les citoyens et les causes d’intérêt général. Ainsi, la démarche pro bono présuppose que ces organisations sont un moyen utile et efficace pour que les citoyens co-réalisent l’intérêt général. La plupart des organisations aidées dans le cadre du pro bono n’ont pas pour but principal d’influencer la politique, mais plutôt d’apporter des solutions concrètes et directes sur un territoire, pour une population donnée. On cherche à aider les associations, non pas pour améliorer la représentativité de nos systèmes, mais plutôt pour renforcer la participation : il s’agit de donner un pouvoir d’agir aux citoyens, ce qu’on désigne un peu partout autour du monde sous le nom d’ « empowerment ». Nous avons eu l’occasion d’en discuter lors du séminaire I-Leadership organisé par Huizeren à Binzhou (voir photos) et les responsables d’associations présents partageaient cette conviction que les organisations ont un rôle crucial pour pérenniser les actions prises en faveur de certaines causes. Au-delà des engagements individuels, souvent ponctuels, les organisations favorisent la création et le partage des connaissances, elles sont les dépositaires d’une culture qu’elles transmettent aux individus qui les rejoignent ; et en matérialisant ces liens sociaux, elles permettent souvent de rendre plus concret le sens des parcours individuels. Ainsi, à travers les organisations ciblées, les individus sont aussi des bénéficiaires essentiels dans la démarche pro bono.
Les challenges à relever pour développer le pro bono
Le pro bono est une nouvelle forme d’engagement citoyen au service du développement des capacités des organisations. Il peut être vu comme une innovation par rapport aux cultures d’engagement traditionnelles. Cela signifie que le pro bono s’insère dans un contexte territorial et culturel, dont il doit tenir compte pour que les actions pro bono ciblent les secteurs où leurs interventions auront le plus d’impact. Le choix de ces secteurs d’impact prioritaires est à faire en fonction de différentes variables dont deux me semblent essentielles : d’abord le niveau de sensibilisation des populations, organisations partenaires et bénéficiaires, ensuite les autres acteurs de l’engagement qui agissent au sein de l’écosystème étudié.
En Chine, la population connaît très peu le milieu associatif ou non-gouvernemental et la culture du bénévolat et de l’engagement est très peu répandue. Les associations sont peu nombreuses et souvent petites : les projets pro bono doivent s’adapter à leurs capacités à accueillir des bénévoles, et probablement cibler en priorité des problématiques courantes dans les associations jeunes et/ou fragiles telles que la gestion financière et administrative basique, la stratégie, la communication, etc. En amont même, au-delà des services fournis en pro bono, il y a une nécessité importante de former les responsables associatifs à la gestion de leur organisation et du bénévolat. De plus, il n’y a que très peu d’acteurs en place sur les thématiques de l’engagement des citoyens et de l’accompagnement des associations. Par exemple, il n’existe aucune « place de marché web » pour faire l’intermédiation entre les associations en recherche de compétences et les bénévoles voulant s’engager – en France, plusieurs acteurs proposent cette fonction. Ainsi la rencontre se fait par le bouche à oreille au niveau local, parfois avec l’appui des acteurs publics locaux. De même, il n’existe pas de dispositif d’accompagnement des associations équivalent au DLA par exemple, ni même de FONJEP ou de FDVA. En fait, les gouvernements chinois développent actuellement des centres communautaires qui font office d’incubateurs et de centres de ressources pour des ONG et des groupes informels locaux. Ces centres sont développés selon une logique territoriale qui rappelle un peu nos maisons des associations : le secteur de l’engagement voit ainsi apparaître ses premières infrastructures durables.
L’opportunité de créer un réseau international
Huizeren, le centre de volontariat de Pékin, a bien compris depuis sa création que le développement de l’engagement en Chine bénéficierait fortement d’appuis extérieurs financiers et en compétences, c’est ainsi que nous les avons rencontré plusieurs fois aux Etats-Unis depuis 2011. Malgré la différence des contextes, le partage d’expérience international entre spécialistes nationaux du pro bono est une immense force pour inspirer les intermédiaires locaux. En comparant nos modèles, nous pouvons les améliorer et mieux servir nos bénéficiaires. Ce réseau international des acteurs du pro bono est une vraie opportunité pour apprendre, mais aussi un levier d’action commune. A travers des campagnes comme Pro Bono Week, les acteurs mutualisent des moyens pour communiquer et sensibiliser à un niveau supérieur que ce qu’ils pourraient faire seuls.
Depuis que je suis rentré, nous continuons à échanger avec Huizeren. D’abord avec la venue de Sunny, leur Directrice de la Formation, qui a passé un mois chez Pro Bono Lab et a rencontré toute l’équipe ; ensuite par le biais de Skype où nous réfléchissons sur la suite de notre coopération. Nous souhaitons mettre en place des échanges de personnes plus fréquents, pour partager de l’information, des contacts et des outils qui nous permettrons de nous développer ensemble et de mieux servir la résolution des problèmes sociaux dans nos deux pays. Si une mission pro bono de quelques semaines ou quelques mois en Chine vous intéresse, contactez nous !
Antoine Colonna d’Istria, co-fondateur de Pro Bono Lab
Pour aller plus loin :
Articles du blog sur les mêmes sujets :
– Pro Bono in China: bienvenue chez Huizeren à Beijing !, par Antoine Colonna d’Istria
– Essor du bénévolat en Chine : quel rôle pour le pro bono?, par Yoann Kassi-Vivier
– Le pro bono, une innovation sociale en développement, par Antoine Colonna d’Istria